La transition énergétique doit être mondiale
Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est on ne peut plus clair: les phénomènes météorologiques extrêmes se sont multipliés presque partout dans le monde, y compris chez nous. Cet été, les pluies torrentielles en Allemagne et en Suisse et les incendies de forêt dans le sud de l’Europe en ont témoigné. Les pays du Sud subissent encore plus fort les conséquences du réchauffement climatique. Les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations détruisent les moyens de subsistance de personnes qui doivent souvent déjà assurer leur existence dans des conditions plus que précaires. Désormais, le temps presse. Les climatologues prédisent depuis des décennies ce qui est en train de se produire aujourd’hui, au vu et au su de tous. Selon le GIEC, même si les émissions mondiales de CO2 étaient drastiquement réduites à partir d’aujourd’hui, le niveau des mers aura augmenté de 55 cm d’ici à la fin du siècle. La marge de manœuvre est de plus en plus réduite; l’objectif de 1,5 degré décidé à Paris en 2015 n’est déjà plus d’actualité.
Il n’y a pas d’autre solution que la décarbonisation – l’abandon du charbon, du pétrole et du gaz naturel, soit tous les combustibles fossiles sur lesquels reposent la croissance et le développement des nations industrialisées. Les pays riches comme la Suisse ont une responsabilité majeure pour prendre le tournant énergétique. L’Almanach politique du développement 2022, paru sous le titre «Protection du climat et tournant énergétique», met d’abord en évidence la responsabilité des pays du Nord, et notamment de la Suisse. Si tou·te·s les habitant·es de la planète produisaient autant d’émissions que la Suisse, nous aurions besoin de quatre planètes et demie.
Le fil rouge de l’ouvrage est l’idée maîtresse que les innovations technologiques ne suffisent pas à réduire à zéro les émissions de CO2. Outre les énergies renouvelables et une meilleure efficacité énergétique, des changements de comportement et une approche économique orientée vers la justice climatique sont également nécessaires. On ne le dira jamais assez: les pays les plus pauvres de l’hémisphère sud sont aussi ceux qui émettent le moins de dioxyde de carbone; mais ils sont les plus durement touchés par la crise climatique.
Dans le même temps, cependant, plus d’un milliard d’êtres humains dans le monde n’ont toujours pas accès à l’électricité. Permettre aux populations d’accéder plus facilement aux services énergétiques est donc primordial pour atténuer la pauvreté. Mais comment y parvenir de manière écologique et efficace en termes de protection du climat, en tenant compte du fait que les populations du Sud ont autant droit que ceux du Nord à un développement, sans s’appuyer sur l’utilisation de combustibles fossiles, comme l’ont fait ces pays riches? La deuxième partie de l’Almanach politique du développement est consacrée à la question de savoir quels instruments pourraient faire avancer la transition énergétique dans les pays de Sud, et quel rôle la coopération au développement joue dans ce domaine. On espère que l’Afrique deviendra le moteur du tournant énergétique vert et qu’un jour elle ne s’approvisionnera qu’en énergies renouvelables, car le continent bénéficie des meilleures conditions qui soient s’agissant du solaire, de l’éolien et de l’hydroélectricité. Mais cet espoir ne tient pas compte des nombreux obstacles que constituent les conditions-cadres infrastructurelles, économiques, techniques et administratives si l’on veut une telle transition énergétique en Afrique. Sans investissements massifs, l’approvisionnement en énergie va même se détériorer, car la demande d’électricité explose littéralement sur le continent.
Il ne faut pas oublier le but premier de la coopération au développement: il s’agit en premier lieu d’améliorer la résilience des populations vulnérables face aux phénomènes météorologiques extrêmes liés au climat et aux catastrophes naturelles. Les projets énergétiques dans le cadre de la coopération au développement contribuent d’abord à réduire les désavantages sociaux et à réaliser des progrès en matière d’éducation et de santé. Ces projets ne peuvent contribuer directement aux objectifs de l’accord de Paris sur le climat que si, non seulement les énergies renouvelables sont développées, mais aussi les centrales fossiles mises hors service.
Manuela Specker est la directrice de publication de l’Almanach politique du développement, Caritas Suisse, anthologie publiée annuellement. Le numéro de l’année 2022, «Protection du climat et tournant énergétique», peut être commandé à https://shop.caritas.ch/epages/171161.sf/fr_CH/?ViewObjectPath=%2FShops%2F171161