Chroniques

Mésaventures des gauches en Israël

L'histoire en mouvement

Les quatre dernières élections parlementaires constituent un désastre d’ampleur historique pour le Parti travailliste israélien: en moyenne 6% des voix et jamais plus de 7 sièges sur les 120 que compte la Knesset. Des résultats qui contrastent fortement avec ceux des trois premières décennies d’existence du pays (1948-1977), lorsque l’organisation alors connue sous le nom de Mapaï exerçait une hégémonie peu contestée. C’est en effet sous l’égide d’un de ses plus importants dirigeants, David Ben Gourion, que fut proclamée l’existence d’Israël en mai 1948. Sous son égide aussi que plus de 700 000 Palestiniens, les trois quarts de la population arabe, se virent expulsés de leurs foyers. Pourtant, durant toutes ces années au pouvoir et à travers les diverses conquêtes territoriales qui les ont jalonnées, le Mapaï n’a jamais cessé de se revendiquer de la gauche. Comment expliquer cet apparent paradoxe qui fait que, pendant des décennies, des valeurs de fraternité ouvrière et de socialisme ont pu se mêler à une entreprise coloniale de cette ampleur?

C’est notamment à cette question cruciale que cherche à répondre l’historien indépendant Thomas Vescovi, dans son livre L’échec d’une utopie: histoire des gauches en Israël, paru en mars dernier à la Découverte. Le sous-titre de l’ouvrage a son importance puisque le camp de la gauche ne se limite pas historiquement au Mapaï. D’autres organisations ont en effet cherché à peser sur la destinée de la population juive de Palestine avant 1948, en s’opposant à l’option sioniste (qui voulait fonder un Etat proprement juif) tout en faisant la promotion d’un Etat binational qui incorporerait démocratiquement les populations arabes déjà présentes et majoritaires en nombre. L’histoire que retrace Vescovi est donc traversée par cette opposition entre une gauche sioniste longtemps au pouvoir et une gauche non sioniste, voire antisioniste, qui maintient le critère de la classe au-dessus de l’appartenance nationale. C’est ce qui permet notamment au Maki, acronyme du parti communiste israélien, d’être l’une des seules organisations politiques à compter dans ses rangs tant des arabes que des juifs durant les décennies qui suivent 1948.

Une des forces du livre de Vescovi est de prendre au sérieux les aspirations de départ des sionistes de gauche, sans les cantonner aux rôles de simples «idiots utiles» de l’entreprise de Theodor Herzl et des autres représentants du sionisme bourgeois. Une bonne partie de ces juifs socialistes pensaient en effet sincèrement pouvoir réaliser le rêve communautaire de leurs ancêtres tout en fraternisant avec les populations locales. Sans oublier que, dans une Europe alors gangrénée par l’antisémitisme, le sionisme incarnait au début du 20e siècle une forme d’émancipation bienvenue aux yeux des persécutés. Une entreprise qu’il était néanmoins difficile de dissocier de la «mission civilisatrice» mise en avant par les colonialismes européens de cette époque, y compris au sein de certaines fractions de l’Internationale ouvrière, notamment dans la social-démocratie allemande. En dépit de ces nobles intentions, le travaillisme israélien a bien été à l’avant-garde de la colonisation juive de la Palestine et s’est imposé comme la première force politique du nouvel Etat. Cette ambiguïté entre discours socialisant et réalité coloniale était – cyniquement – très bien résumée par la réplique de Ben Gourion aux protestations de Judah Magnes, juif partisan d’un Etat binational et défenseur des populations arabes: lui-même, avait-il demandé l’avis des arabes avant de s’installer en Palestine?

Ces dernières années, Israël voit défiler à sa tête les hommes politiques racistes pendant que la libéralisation économique entamée dans les années 1980 a exacerbé les inégalités économiques, faisant du pays l’un des plus mauvais élèves de l’OCDE dans ce domaine. Pourtant la gauche peine à exister électoralement, notamment en raison de la question sécuritaire et du vote communautaire qui rendent la motivation socio-économique peut-être moins fondamentale qu’ailleurs. Dans le même temps, la colonisation se poursuit dans les territoires occupés et la population palestinienne est régulièrement victime des raids meurtriers de Tsahal. Pour Thomas Vescovi, il n’y a pas trop de doutes sur le fait que, désormais, entre sionisme et gauche il est temps de choisir.

Ces questions, et beaucoup d’autres, seront abordées en compagnie de Thomas Vescovi le mercredi 3 novembre à 19h à Uni-Mail, en salle MS150, dans une conférence co-organisé par L’Atelier, la CUAE et le Collectif Urgence Palestine. Il sera également présent à Lausanne le mardi 2 novembre à 20h à la Maison du peuple, à l’invitation du Cercle Rosa Luxemburg.

*L’association L’Atelier-Histoire en mouvement contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation, info@atelier-hem.org

Opinions Chroniques L’Atelier-Histoire en Mouvement L'Histoire en mouvement

Chronique liée

L'histoire en mouvement

mercredi 9 janvier 2019

Connexion