Antivax, antipass, mortifères
Depuis la mi-juillet, à la suite de l’introduction du pass sanitaire pour inciter les gens à se faire vacciner au vu des risques causés par le variant Delta du Covid-19, plus de deux cents villes à travers la France sont le théâtre de manifestations hebdomadaires antivax et antipass. Dont Tours, où je réside actuellement.
Or depuis le 17 juillet ces manifestations passent littéralement sous mes fenêtres – un point d’observation privilégié d’où j’ai pu suivre les défilés de 3000 manifestant·es en moyenne chaque samedi durant tout l’été – une affluence inédite qui a baissé à partir de la rentrée pour se stabiliser à environ un millier de personnes début octobre.
Les médias parlent du caractère «hétéroclite» de ces manifestations. Pour ma part, je constate depuis trois mois la présence systématique d’un éventail de positions d’extrême-droite portées par des messages antivax, antipass et complotistes.
Parmi les constantes, de semaine en semaine: un nationalisme obsessionnel, porté par une pléthore de drapeaux tricolores, et la présence systématique d’une organisation d’extrême-droite locale, «Des Tours et des Lys» rangée derrière une bannière très imposante – ses militants faisant partie des rares personnes à porter un masque, le but n’étant pas sanitaire. Toutes les semaines aussi, des Gilets Jaunes du «canal historique» de la mouvance Dieudonné – Alain Soral, ainsi que des nuées de feuilles imprimées avec le slogan attrape-tout de Florian Philippot, «Liberté».
Des panneaux de Civitas, l’organisation nationale-catholique intégriste, dénonçant la «dictature sanitaire», d’autres, osant parler d’«apartheid». Sans compter divers dessins de seringues menaçantes, des appels répétés à «protéger les enfants», ainsi que les noms des médecins antivax et personnalités complotistes les plus notoires, brandis comme s’ils étaient des héros par les manifestant·es.
A chaque défilé, aussi, un antisémitisme récurrent, avec des étoiles jaunes en carton, ou dessinées sur des gilets de la même couleur, et le retour de la vieille question antisémite «Qui?». Des «pass sanitaires» au graphisme nazi. Et toujours une affiche du très fascisant Conseil national de transition, solidaire des généraux antirépublicains et de leur appel publié fin avril dans Valeurs actuelles. Cela, toutes générations confondues et dans une ambiance bon enfant. Bref, une fachosphère locale parfaitement décomplexée et qui agglomère des secteurs en dérive, comme celui de certaines «thérapies» alternatives.
Plus grave encore: semaine après semaine, des syndicalistes de Sud, de FO, des militants de la France insoumise, voire des groupes anarchistes n’ont aucune honte à se retrouver au beau milieu de ces mouvances d’extrême-droite et à partager les mêmes slogans – un confusionnisme qu’analyse le politologue Philippe Marlière. Ainsi, cet été il dénonçait 1>Nouvel Obs, 14 août 2021.la «gauche sociale et critique» qui «navigue à vue sur la question du pass sanitaire», et dont les erreurs «renforcent les forces conspirationnistes et d’extrême droite», car «contrairement à d’autres gauches qui militent activement en faveur de la vaccination (Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez aux Etats-Unis), la gauche française est d’une timidité affligeante sur la question».
Ainsi, «les marcheurs anti-pass sanitaire qui soutiennent un agenda ‘anti-vax’ sont aux antipodes de leur combat: ils défendent une conception libertarienne et égoïste de la liberté; une ‘liberté négative’ (…), celle de faire ce que bon leur semble, au mépris de la santé publique et du bien commun».
La philosophe Valérie Gérard, à l’occasion de la publication d’un essai 2> Valérie Gérard, Tracer des lignes : sur la mobilisation contre le pass sanitaire, éd. MF. sur les mobilisations antipass, revient, elle aussi, sur ce confusionnisme politique dans un entretien avec la revue Diacritik: elle y dénonce «l’affirmation eugéniste de la confiance dans de bonnes défenses naturelles et le refus de construire, face à une menace partagée, une réponse collective». Elle rappelle qu’à «défiler avec des fascistes contre l’autoritarisme, on risque alors surtout de renforcer le fascisme, et, à terme, l’autoritarisme», et souligne que ce «mouvement anti-pass ne construit rien de commun», car «la violence des anti-pass vise des centres de vaccination, des centres de dépistage du Covid: des lieux et des symboles du soin, de la sécurité et de la solidarité sociales».
Notes
* Journaliste.