Chroniques

Bus gratuit pour Champ-Dollon

L'Impoligraphe

Ben qu’est-ce que tu fous avec cette sacoche, Tonton?

– Je prépare mon balluchon pour Champ-Dollon…

– Allons bon, qu’est-ce que t’as encore fait?

– J’ai reçu une gentille lettre de la police (de proximité) m’intimant l’ordre de payer 160 balles de conversion d’amende sous peine de devoir passer deux jours de détention à Champ-Dollon. Ou chaque jour de détention d’un détenu coûte dans les 600 balles à la collectivité. Bref, pour me punir de ne pas lui avoir payé 160 balles, l’Etat est prêt à en claquer huit fois plus. Ça doit être ça, la «nouvelle gestion publique»…

– Et l’amende que tu dois convertir, tu te l’es prise pour quoi?

– Pour avoir pris un bus (ou un tram, je sais plus) sans payer de billet ni avoir d’abonnement…

– Et pourquoi tu l’as pas pris, ton billet et que tu n’en as pas, d’abonnement?

– Parce que je suis partisan des transports publics gratuits, au moins en zone urbaine. Et que, donc, je la pratique, la gratuité… Faut être cohérent, non?

– M’enfin, tu serais pas plutôt durak [idiot en russe] que cohérent? T’es conseiller municipal, la Ville t’offre un abonnement TPG à ses frais, et tu le prends pas…

– Ouais, et alors? Pourquoi je prendrais un abonnement cadeau? Tu trouves normal, toi, que les mêmes élus municipaux qui refusent la gratuité des transports publics à la population se l’accordent à eux-mêmes? Ben moi, je trouve pas ça normal, ce petit privilège, ouala…

– Et elle change quoi, ta posture de témoignage individuel en faveur de la gratuité des transports publics? Elle change rien. Tu te donnes bonne conscience, c’est tout. Pharisien, va!

– Mais je fais plus que me donner bonne conscience, je compatis…

– Tu compatis à quoi? A ta propre douleur de devoir faire deux ou quatre jours de gnouf pour la beauté du geste?

– Non, c’est plus pervers que ça. Sur Face de bouc, un copain témoigne: «J’ai rarement vu une expression plus triste sur un visage que celle des contrôleurs de TPG après qu’ils soient descendus d’un bus sans avoir pu trouver qui que ce soit à amender.» C’est donc aussi par compassion avec ces travailleurs injustement méprisés que je m’acharne à ne pas payer mon bus ou mon tram au nom de la gratuité des transports publics pour toutes et tous: avec moi, au moins, ils n’ont pas totalement gâché leur journée… Et en plus, moi, j’y gagne deux, quatre ou huit jours nourri-logé à Champ-Dollon, pour pouvoir soutenir la juste lutte des gardiens contre leur direction. Que demander de plus? Quelques jours de rab’ pour fomenter une mutinerie de détenus?

– Tu pourrais demander un peu d’efficacité dans ta propre démarche, peut-être… Evidemment que si tout le monde faisait comme toi, la gratuité des transports publics, on l’aurait demain, rien que pour économiser les frais de répression de la resquille, mais avec ta posture individuelle, tu crois que tu va faire bouger quoi?

– Chais pas, et je m’en fous. Mais on peut peut-être imaginer une politique des petits pas: rendre les transports publics gratuits pour les jeunes, puis les vieux, puis tout le monde… et pas seulement les conseillers municipaux… Alors faut commencer par quelqu’un, et je commence par moi. C’est quand même le plus simple, non?

– T’as raison, on pourrait commencer par rendre gratuite la ligne de bus qui dessert Champ-Dollon…

– Bonne idée: si la police ne m’y conduit pas gratuitement, je m’y conduirai gratuitement en bus. A l’aller et au retour…

– Et si tu te fais repruner, t’en conclueras quoi?

– Que la reductio ad absurdum continue…

– Amen!

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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