Doses de mauvaise foi
Le lièvre a été levé à la mi-juillet par une ONG néerlandaise: la multinationale pharmaceutique Moderna a créé l’an dernier en Suisse une société destinée à engranger l’intégralité des bénéfices réalisés en Europe avec son vaccin anti-Covid, sans que cette holding opportunément basée à Bâle ne soit pour rien dans la mise au point du mRNA-1273. L’affaire, trop discrètement révélée au creux de l’été, va toutefois rebondir dans l’arène parlementaire, puisque deux élu·es de gauche1>Stéfanie Prezioso (EàG, Genève) et Miguel Urbán (ex-Podemos, Espagne) ont déposé, à Berne et à Bruxelles, des interpellations dénonçant cette opération de prédation fiscale.
S’appuyant sur le régime fiscal adopté en 2019 (RFFA), la Suisse offre en effet des taux de taxation (13% à Bâle) infiniment plus doux que ses voisins. Et sans doute les dispositifs de «patent box» et autres rabais fiscaux liés à la Recherche et Développement (R&D), taillés sur mesure par Bâle pour sa chimie, permettront de réduire encore la facture. Une «importation» de R&D et de brevets interdite mais très certainement pratiquée, grâce au flou qui règne dans la comptabilité des trusts internationaux et à l’opacité du fisc helvétique. Sinon comment expliquer que le secteur de la pharma génère cinq fois plus de valeur ajoutée par employé que la moyenne suisse?!2>«La Suisse protège son industrie pharmaceutique», Alliance Sud, 24.06.21. L’occasion de souligner que le pouvoir de «Big Pharma», prétexte actuellement à plus d’un fantasme, n’est pas né avec le Covid-19 mais est consubstantiel à la mondialisation néolibérale.
Un processus où les Etats-Unis ne sont pas en retard. Le petit paradis fiscal du Delaware s’est, de longue date, spécialisé dans le dumping fiscal pour détenteurs de brevets. Dont désormais ceux du mRNA-1273, pourtant essentiellement développé par l’Université de Pennsylvanie et terminé grâce aux centaines de millions de dollars fournis en 2020 par Washington3>A travers le Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA).
Dans ce jeu à plusieurs bandes, les collectivités publiques sont perdantes à tous les coups. Non seulement elles paient une seconde fois – et au prix fort – un antidote dont elles ont déjà financé l’élaboration, mais elles ne parviennent même pas à en taxer les bénéfices. Les pharmas, elles, ont beau jeu de se présenter en sauveurs de l’humanité, alors que leur rapacité la met concrètement en danger, laissant des milliards de personnes sans protection vaccinale fabriquer les variants de demain.
Sans attendre grand-chose des réponses, les deux interpellations parlementaires ont au moins le mérite de mettre en lumière les conséquences de la privatisation des moyens de production dans un domaine aussi essentiel que la santé.
Notes