«L’horreur a engendré une réaction abusive»
Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont été avant tout une tragédie pour les quelque 3000 victimes et leurs familles. Des vies ont été détruites et des destins changés pour toujours, lors de ces actes de violence qui ont choqué et indigné le monde entier. De nombreux secouristes continuent de souffrir de problèmes de santé à cause de leur intervention immédiatement après les attaques. Les familles des victimes ne pourront jamais oublier ces événements.
Toutefois, au-delà de cette tragédie, l’horreur suscitée par les attentats a engendré une réaction abusive dont les effets sont encore ressentis aujourd’hui. Au lieu de réaffirmer les normes des droits humains qui interdisent une telle cruauté extrême, l’administration du président George W. Bush les a violées. Et les citoyen·nes américain·es, consterné·es et effrayé·es par l’ampleur des attaques, n’ont pas suffisamment élevé leurs voix contre cette réaction abusive. Souvent, parce que de nombreuses mesures étaient prises en secret, ils et elles n’en n’avaient même pas connaissance, du moins jusqu’à plus tard.
L’un des avocats de la Maison Blanche, John Yoo, a rédigé les «torture memos» de triste notoriété, afin de justifier des actes de torture pourtant injustifiables. Les mauvais traitements brutaux infligés aux suspects, tels que les simulacres de noyade («waterboarding») étaient décrits par l’euphémisme «techniques d’interrogatoire renforcées». Le ministre de Justice de l’administration Bush, Alberto Gonzales, a qualifié les Conventions de Genève d’«obsolètes». Le directeur de l’agence central de renseignement CIA, le général Michael Hayden, a publiquement poussé les agents à se rapprocher de la ligne démarquant la limite légale, alors qu’ils la franchissaient secrètement.
L’un des effets de cette indifférence aux droits humains a été de faire des émules dans d’autres pays. Des dirigeants brutaux ont compris que le meilleur moyen de commettre des abus à grande échelle en toute impunité était d’invoquer la lutte contre le «terrorisme». C’est ce que fait le gouvernement chinois pour justifier la détention d’un million d’Ouïghours et d’autres musulmans turciques au Xinjiang, afin de les forcer à renoncer à l’islam, à leur propre culture et à leur langue. Le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi ont fait arrêter des dizaines de milliers de personnes dans leurs pays respectifs, également sous prétexte de lutte antiterroriste, mais généralement en l’absence de preuves concrètes. Le gouvernement israélien utilise aussi ce prétexte pour justifier le bouclage de la bande de Gaza depuis quatorze ans, ainsi que les bombardements périodiques ayant frappé la population de ce territoire.
Le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre est l’occasion de se souvenir des victimes, mais aussi de réévaluer les aspects profondément erronés de la réponse du gouvernement américain à ces attaques. C’est l’occasion de condamner le mal qu’incarne le terrorisme, mais aussi de fermer le centre de détention de Guantanamo. Le gouvernement américain devrait libérer les 39 détenus vieillissants qui s’y trouvent encore sans avoir été inculpés, et traduire les autres détenus en justice dans le cadre d’un procès équitable, devant un tribunal approprié. Il faudrait aussi, dans la mesure du possible, poursuivre les individus ayant ordonné la détention secrète et la torture de suspects, et publier le rapport complet du Comité sénatorial du renseignement au sujet de ce programme odieux. Et c’est le moment de mettre officiellement fin à la «guerre mondiale contre la terreur» («global war on terror»). Il est temps d’admettre qu’en l’absence d’un véritable conflit armé, les infractions liées au terrorisme peuvent être combattues comme tout autre crime grave dans les limites du droit international. Il faut cesser de recourir aux interminables détentions et aux assassinats sommaires qui ont entaché cette «guerre» sans fin.
*HRW est une ONG internationale de défense des droits humains basée à New-York.