Contrechamp

La Commune? Parlons-en!

Du 24 au 26 septembre aura lieu à Lausanne «Parlons Commune», une rencontre exceptionnelle, ouverte à tou·tes, destinée à commémorer les 150 ans de la Commune de Paris de 1871. Durant trois jours, historien·nes, philosophes, militant·es et passionné·es discuteront de l’actualité de cet événement décisif. Avec théâtre, cinéma et promenade à la clef.  
La Commune? Parlons-en!
La Commune garde toute sa force suggestive et émancipatrice; Steinlen (estampe), 1894. GALLICA.BNF.FR/BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE

Pour Marx, elle est un sphinx «qui tourmente si fort l’entendement bourgeois», pour Bakounine, «une négation audacieuse de l’Etat», pour Lissagaray, son premier mémorialiste, «la plus haute marée du siècle». On a fêté cette année les 150 ans de la Commune de Paris, et si l’on a coutume de proclamer un peu sentencieusement qu’«elle n’est pas morte», la vivacité des publications et des colloques autour de cet événement majeur de l’histoire européenne en 2021 démontre la justesse de cette remarque, presque aussi vieille que la Commune elle-même.

Une fois encore, les spectres de Louise Michel, de Leo Frankel, d’Eugène Varlin, de Charles Delescluze, d’Elisabeth Dmitrieff et des centaines de milliers d’anonymes qui ont fait la Commune de Paris, et pour laquelle beaucoup sont morts, se sont réveillés et ont peut-être, du moins c’est le vœu que l’on peut former, effrayé à nouveau les héritiers des Versaillais.

Il était normal que la Suisse se joigne aux commémorations. Servant une fois de plus d’asile à des réprouvé·es politiques, la Suisse – et singulièrement les rives du Léman – accueille de nombreux acteurs et actrices de la Commune après son écrasement au mois de mai 1871. Elle devient ainsi l’un des principaux lieux, avec Londres et Bruxelles pour celles et ceux qui ont pu s’échapper, avec Nouméa pour d’autres moins chanceux, de la mémoire et de la sociabilité communardes. Le peintre Gustave Courbet s’installe à la Tour-de-Peilz, Victorine Brocher, l’autrice des Souvenirs d’une morte vivante, vit à Genève puis à Lausanne, Gustave Lefrançais, membre de la Commune et dédicataire de l’Internationale, s’établit à Genève, le Breton Jean-Louis Pindy à La Chaux-de-Fonds, le géographe Elisée Reclus se réfugie à Vevey puis à Clarens, pour ne citer que quelques exemples fameux.

Commémorer n’est pas embaumer

Il ne faut pas croire que la très conservatrice Suisse accueille avec plaisir ces révolutionnaires. Les autorités se réjouissent en effet de la défaite de la Commune et du retour de la «légalité républicaine» en France. La «tradition humanitaire» de la Suisse est assez largement mythifiée car le pays s’est toujours contenté d’ouvrir ses frontières à des réfugié·es choisi·es, les autres y étant toléré·es, à défaut d’être purement et simplement refoulé·es. Le Conseil fédéral de 1871 n’est pas plus charitable a priori à l’égard des communeux et des communeuses qu’il ne l’est aujourd’hui envers les Afghan·es. Il n’en demeure pas moins que nombre d’entre eux ont pu s’établir, souvent dans des conditions précaires, en divers points du pays.

Dans l’histoire du mouvement ouvrier, commémorer ne signifie pas (ou du moins ne devrait pas signifier) embaumer. Le rappel des événements du passé, tragiques comme heureux, se fait sous le signe de la mémoire, qui est vivante, active, présente. Il ne s’agit pas de se contenter de compiler des archives, mais de comprendre à chaque fois les potentialités toujours nouvelles offertes par l’image du passé; il faut «se reconnaître comme désigné en elle», pour reprendre les mots de Walter Benjamin.

Célébrer la Commune de Paris, pour nous, ne pouvait donc se limiter à ajouter un autre colloque savant à ceux qui ont déjà eu lieu (et dont l’utilité est indéniable), ou de nouvelles interprétations à celles proposées dans les travaux antérieurs. Si l’on croit sincèrement que la Commune n’est pas morte, il faut donner un contenu concret à cette idée. Nous avons choisi de le faire de trois manières différentes.

Premièrement, durant les trois jours de la rencontre lausannoise, auront lieu cinq dialogues successifs portant sur des thèmes qui à la fois ont été décisifs pendant la Commune de 1871 et le sont encore aujourd’hui. A chaque fois un·e spécialiste échangera avec un·e militant·e afin de découvrir l’actualité de l’expérience communale parisienne pour les combats, les idées, les luttes et les rêves d’aujourd’hui. Nous pourrons ainsi entendre des dialogues à propos du féminisme, de l’internationalisme, du communalisme, de l’exil et de la mémoire, autant de thématiques que nous pensons fécondes à la fois pour les passionné·es de la Commune et pour les personnes engagées dans les luttes du jour. En d’autres termes, à nos yeux, la Commune n’est pas qu’un objet d’histoire dont les cendres seraient retombées et dont une étude apaisée serait désormais possible. Elle garde au contraire toute sa force suggestive et émancipatrice.

Deuxièmement, par-delà les discussions qui porteront sur les significations que l’on peut donner à la Commune, nous avons voulu inscrire l’événement dans ses résonances sensibles, s’approcher du rapport au monde vécu de ses acteurs et actrices. Cela se traduira d’abord par la lecture intégrale, par la comédienne Catherine Kunz, d’un texte extraordinaire d’André Léo prononcé il y a 150 ans presque jour pour jour à Lausanne, au Congrès de la paix, et intitulé «La guerre sociale». Restituer la parole d’une communeuse de première importance, journaliste, écrivaine, militante inlassable de la cause des femmes, dans ce qu’elle a d’implacable, d’habité et de prophétique, permettra d’aborder autrement la Commune. Samedi 25 septembre, nous convions ensuite le public à une expérience cinématographique singulière, avec la projection du film de Peter Watkins, La Commune (Paris, 1871), au cinéma CityClub à Pully. S’immerger pendant trois heures trente dans ces images filmées par Watkins dans un entrepôt parisien avec des acteurs et actrices non professionnel·les est encore une autre manière de sentir l’atmosphère de cette Commune recréée et revivifiée par la puissance de l’engagement de celles et ceux qui l’incarnent à l’aube de notre siècle.

Troisièmement, la journée du dimanche sera consacrée à une promenade sur les lieux qui gardent des traces de la Commune aux bords du Léman. Nous rendrons tout d’abord visite à Elisée Reclus (1830-1905), réfugié à Clarens, guidés par Marianne Enckell. Puis, à La Tour-de-Peilz et à Vevey, nous irons (re)découvrir Gustave Courbet (1819-1877), acteur important de la Commune, avec l’historien et iconographe Pierre Chessex. Pour les personnes qui auront suivi le reste des activités, ce sera aussi l’occasion de partager leurs réflexions sur l’expérience communale et, souhaitons-le, de recréer du commun, après une année d’isolement pandémique et d’atomisation sociale.
Par ailleurs, les Archives cantonales vaudoises détiennent un drapeau authentique de la Commune, enlevé par les Versaillais, qui sera exposé dans le hall d’entrée du bâtiment. Si vous le regardez avec attention, vous constaterez que ce drapeau, criblé de balles, a été raccommodé lors d’une restauration trop zélée…

Mille Communes

En explorant ces différentes facettes de la Commune de 1871, nous aimerions montrer ses mille visages, au sens propre comme au sens figuré. L’événement a été forgé par ses innombrables acteurs et actrices, anonymes ou célèbres, dont le nom n’occupe parfois qu’une ligne dans un procès-verbal ou au bas d’une affiche, alors que d’autres sont gravés pour toujours dans la mémoire collective. Dans le même temps, cet événement est extraordinairement divers, confus, parcouru de tensions, parfois difficile à lire et à comprendre. Les circonstances l’expliquent partiellement: la fin d’un siège terrible, une prise de pouvoir inattendue, l’impréparation de beaucoup, une guerre civile, etc. Cependant, plus profondément, cette multiplicité a quelque chose à voir avec la vie démocratique elle-même. Et à quel point la Commune fut démocratique, il n’est nul besoin d’y revenir. On l’a d’ailleurs souvent accusée de l’avoir trop été.

Durant ces septante-trois journées, c’est donc aussi quelque chose du désordre démocratique, des tumultes d’une cité libre, de la démocratie sauvage et turbulente qui s’exprime à l’intérieur des remparts de Paris. La défaite finale ne porte pas condamnation définitive de ce désordre, bien au contraire. Car, 150 ans plus tard, c’est bien cette aventure, tâtonnante et énergique à la fois, fruit de la raison et de l’imagination, qui demeure vivante.

Ne résonnent-elles pas aujourd’hui encore, ces quelques phrases bien trempées, extraites de l’Histoire de la Commune de 1871 par Prosper-Olivier Lissagaray? «Reconnaissez-vous ce Paris sept fois mitraillé depuis 1789 […]; ce Paris d’incapitulables, toujours debout pour le salut de la France? Où est son programme, avez-vous dit? Eh! cherchez-le devant vous, non dans cet Hôtel-de-Ville qui bégaie. Ces remparts fumants, ces explosions d’héroïsme, ces femmes, ces hommes de toutes les professions confondues, tous les ouvriers de la terre applaudissant à notre combat, toutes les bourgeoisies coalisées contre nous, ne disent-ils pas la pensée commune et qu’on lutte ici pour la République et l’avènement d’une société sociale? Repartez vite pour raconter ce Paris.»

Au programme

La Commune? Parlons-en! 2

vendredi 24 septembre

14h: accueil; 14h15: projection du court métrage La Boîte noire; 15h: conférence de Laure Godineau, «La Commune en mouvement»; 16h45: premier dialogue: «Féminisme» (Carolyn Eichner et Maria Pedrosa).
Unil, Internef 263 (métro m1, arrêt UNIL-Chamberonne).
• 18h30: «La guerre sociale» d’André Léo, lu par la comédienne Catherine Kunz (sur inscription uniquement).
Unil, Vortex, rez-de-chaussée (m1, arrêt UNIL-Sorge).

samedi 25 septembre

• 9h30: accueil; 10h: deuxième dialogue: «Internationalisme» (Quentin Deluermoz et Umberto Bandiera); 11h15: troisième dialogue: «Communalisme» (Pierre Sauvêtre et Jean-Yves Pidoux); 14h30: quatrième dialogue: «Exil» (Michel Cordillot et Çagla Aykaç); 15h45: cinquième dialogue: «Mémoire» (Michèle Audin et Charles Heimberg).
Maison du Peuple de Lausanne, pl. Chauderon 5, salle Jean Villard-Gilles.
• 19h: projection de La Commune (Paris, 1871) de Peter Watkins (renseignements sur www.cityclubpully.ch)
CityClub à Pully, av. de Lavaux 36, Pully.

dimanche 26 septembre

• 11h30 : rendez-vous à l’embarcadère CGN d’Ouchy pour une promenade sur les traces d’Elisée Reclus et de Gustave Courbet, en compagnie de Marianne Enckell et de Pierre Chessex.

« Parlons Commune », ce sont: Thomas Bouchet, Antoine Chollet, Marianne Enckell, Tatiana Fauconnet, Timothée Guitard, Hélène Joly, Christian Marmy, Prune Roulier.
«Parlons Commune» est un événement organisé par l’Université de Lausanne, en collaboration avec le CIRA (Centre international de recherches sur l’anarchisme), l’AÉHMO (Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier), la librairie Basta! et les Archives cantonales vaudoises, avec le soutien de la Ville de Lausanne. Programme complet, inscriptions: wp.unil.ch/cwp-blog et parlons.commune@gmail.com

Opinions Contrechamp Comité d’organisation de «Parlons Commune»

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