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MAH: Les retraités ont-ils droit à la parole?

Signataire de la lettre demandant la révocation du directeur du Musée d’art et d’histoire (notre édition du 20 août), l’archiviste et historienne Barbara Roth estime que l’orientation du MAH constitue un «enjeu qui ne peut pas être réduit à un conflit intergénérationnel».
Musée d'art et d'histoire

«Pince-sans-rire, Marc-Olivier Wahler signale que l’âge moyen des signataires dépasse celui de la retraite, avec une minorité de personnes encore actives», lit-on dans Le Courrier du 20 août 2021. Le directeur du Musée d’art et d’histoire de Genève fait ici allusion à une lettre signée par 117 personnes inquiètes de l’avenir du musée, adressée au Conseil administratif le 13 août dernier. Cette lettre occasionne ces jours quelques remous dans «le grand village genevois» comme le dit, dans la même édition, M. Sami Kanaan [conseiller administratif chargé de la culture], qui pensait pourtant faire du MAH transformé par l’architecte Jean Nouvel un phare international.

Quel est au juste le sens de cette remarque? Je ne pense pas être la seule à me poser la question.

Oui, la moyenne d’âge des signataires est assez élevée, et il y a des raisons à cela. Issue effectivement d’un groupe d’historiens de l’art et de muséologues qui sont «retraités», elle a d’abord, tout simplement, circulé dans leur réseau professionnel composé en grande partie de contemporains.

Mais il est évident que la jeune génération, en études ou en activité, a aussi vu passer la lettre, et beaucoup de ces personnes nous ont fait savoir qu’elles partageaient notre souci. Or  signer une lettre critique de la politique du magistrat comporte le risque de se faire mal voir dans ce «grand village» où les débouchés ne sont pas si nombreux pour un jeune attiré par le monde des musées; et une personne employée dans une institution patrimoniale risque aussi des représailles, à vouloir endosser le rôle de lanceur d’alerte. Rappelons que les employés du secteur public sont astreints à un devoir de réserve qui peut leur coûter leur poste s’ils le brisent. Il faut donc saluer le fait que des «retraités» se fassent les porte-parole de tous ceux qui sont bâillonnés par leur fonction au sein des institutions patrimoniales.

C’est cela qui devrait interpeler nos autorités! Dans une ville où la liberté de parole ne va pas de soi dans certains domaines, les retraités, eux, sont libres de s’exprimer.

Mais revenons à la question fondamentale, qui dérive de la remarque de M. Marc-Olivier Wahler: la voix des retraités est-elle différente de celles des personnes «encore actives»?

Les deux éminences grises de M. Kanaan dans l’affaire du Musée d’art et d’histoire sont nées respectivement en 1943 (M. Jacques Hainard) et 1954 (M. Roger Mayou). Pour la prochaine grande exposition du MAH, M. Wahler a invité M. Jean-Hubert Martin, «légende vivante du commissariat», né en 1944. De manière sélective, il existe donc des personnes ayant dépassé l’âge de la retraite dont les connaissances et l’expérience sont jugées intéressantes par ces messieurs.

En passant du statut de salarié à celui de rentier, un individu perd-il du jour au lendemain toute compétence, toute expertise? N’a-t-il plus besoin de s’intéresser à ce qui se passe dans la cité? Ou alors, est-il forcément réactionnaire, ne supportant pas le changement? Non, M. Kanaan, M. Wahler, les personnes qui osent critiquer votre politique ne sont pas toutes de vieux grognons passéistes. Qui cherche à disqualifier leur voix avec un raisonnement aussi simpliste et absurde démontre surtout la faiblesse de sa position.

Barbara Roth est archiviste, historienne, signataire de la lettre au Conseil administratif de la Ville de Genève.

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