Agora

Les plus riches surfent sur la crise

Une étude du syndicat Unia sur les écarts salariaux montre que, malgré la pandémie, managers et actionnaires suisses se portent bien. Au contraire des travailleuses et des travailleurs.
Inégalités

Alors que nombre d’employé·es ont dû faire face à une diminution de leur salaire, crise pandémique oblige, des actionnaires et des patrons ont gagné davantage en 2020. Quatorze entreprises sur les 37 examinées par Unia ont versé 8,2 milliards de francs de dividendes, alors qu’elles ont demandé des indemnités publiques de chômage partiel. Certaines, comme Lindt&Sprüngli et Straumann, ont de surcroît supprimé des emplois en 2020 et Schindler a annoncé des licenciements. Autre exemple tiré de l’étude menée par Noémie Zurlinden, économiste au département politique d’Unia: «Malgré le chômage partiel et une réduction des effectifs, Swatch a décidé de verser un dividende de 183 millions de francs lors de son assemblée générale de 2021.» Ou encore: «Pendant que ABB a sollicité le chômage partiel, son ancien CEO Ulrich Spiesshofer a reçu une indemnité d’un montant de 2,3 millions de francs.»

En moyenne, l’écart entre les salaires est de 1 à 137 en 2020. Il était de 1 à 150 en 2019, mais selon Martine Docourt, responsable du département politique d’Unia, «cette fluctuation ne représente pas une tendance vers une diminution des disparités». D’ailleurs, chez Roche, il atteint un ratio de 1 à 298 (1 à 256 chez UBS, 1 à 208 chez ABB, 1 à 203 chez Nestlé…). La rémunération du CEO du géant pharmaceutique Severin Schwan se monte à 14,6 millions de francs. «Cela signifie qu’une personne employée à ce salaire chez Roche devrait travailler 298 ans pour atteindre le salaire annuel de Severin Schwan», indique Unia dans un communiqué.

«Les directions d’entreprises et surtout les actionnaires des plus grandes sociétés continuent de recevoir des sommes exorbitantes», souligne l’étude. Si la baisse est de 3,6% par rapport à l’année précédente, cette diminution est extrêmement légère au regard de la crise générée par le Covid-19. Les versements aux actionnaires (dividendes et rachat d’actions) se sont montés à 60,6 milliards. Dix entreprises – dont Nestlé, Roche, Novartis, UBS (qui a annoncé des suppressions d’emplois également) et Crédit Suisse – ont distribué 83% de cette somme.

De surcroît, les dividendes accordés ont augmenté de 5% par rapport à 2019. Quatre sociétés – EMS Chemie, Partners Group, Swiss Re et Nestlé – ont versé plus d’argent aux actionnaires qu’aux travailleurs
et aux travailleuses. Alors que Swiss Re a enregistré des pertes et supprimé des emplois en 2020. Autre exemple: Clariant figure parmi les six entreprises qui ont octroyé le plus de dividendes, alors que le groupe chimique a annoncé vouloir supprimer 1000 emplois au niveau mondial.

Chez EMS Chemie, la répartition a été la plus inégale avec presque le double des revenus des travailleurs versés aux actionnaires. La famille Blocher a ainsi reçu, à elle seule, la moitié des dividendes. Concernant cette société, l’étude indique: «Chaque salarié génère en moyenne un chiffre d’affaires de 715 000 francs ou encore un bénéfice net de 172 000 francs. Les charges moyennes de personnel, en revanche, n’ont été que d’environ 84 000 francs par employé.» A noter que l’écart salarial dans cette société n’a pas pu être calculé puisque aucune information ne filtre sur le revenu du CEO.

«Alors que les employés fournissent le travail et génèrent les gains, ils ne sont pas récompensés. Dans cette trentaine de sociétés, les plus grandes de Suisse et qui brassent des millions, il est affligeant de trouver des salaires d’environ 4000 francs», s’indigne Martine Docourt.

Dans la moitié des entreprises étudiées, les employés dont le salaire est le plus bas touchent moins de 3939 francs mensuellement (multiplié par 13). Alors que les CEO sont payés entre 322 000 francs et plus d’un million de francs par mois! Certains groupes, comme Alcon et Swiss Re, malgré des pertes, ont même augmenté les salaires de leur directeur.

Face à ces contrastes indécents, Unia n’a de cesse d’alerter sur le creusement des inégalités en Suisse. Pourtant, les responsables politiques ont refusé d’interdire le versement des dividendes en cas de RHT. «Les entreprises qui dépendent du soutien étatique sous forme d’indemnisation du chômage partiel et qui peuvent réaliser des bénéfices grâce à cela devrait investir leurs entrées au profit de leurs salariés et non enrichir les actionnaires», conclut l’étude. Martine Docourt appelle ainsi aussi au soutien de l’initiative «99%» – pour une plus forte taxation du capital – dans les urnes le 26 septembre.

Paru dans L’Evénement syndical, n°27/28, 7 juillet 2021.

Opinions Agora Aline Andrey Inégalités

Connexion