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La Slovénie devra pédaler fort à la tête de l’UE

Après avoir cédé aux accents populistes, la Slovénie de Janez Jansa devra retrouver le sens du consensus en prenant les commandes de la présidence tournante de l’Union européenne.
La Slovénie devra pédaler fort à la tête de l’UE
Il pourrait bien y avoir quelques frictions entre le Premier ministre slovène, Janez Jansa, qui a pris jeudi la présidence de l’UE, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. KEYSTONE
Eclairage

A l’heure du Tour de France, les exploits des cyclistes slovènes vont sans doute l’emporter sur la présidence européenne de la Slovénie. C’est pourtant bien elle qui a pris, jeudi, les commandes de la présidence tournante de l’Union européenne. Grand comme une moitié de la Suisse, peuplé de 2 millions d’habitants, ce pays alpin coincé à l’entrée des Balkans est considéré comme un nouveau grain de sable dans la mécanique bien huilée de l’Union.

Car la Slovénie, c’est un peu l’histoire d’un désenchantement. En 2004, elle intègre officiellement l’UE, après un référendum approuvé par près de 90% de sa population. Société dynamique, économie de marché avancée, la plus compatible des Balkans avec les critères de l’UE: la Slovénie apparaît un temps comme une success story. Un modèle d’intégration pour ses voisins du sud-est du continent.

Trajectoire emblématique

Mais à l’instar d’autres pays d’Europe centrale et orientale, une dissociation va s’y opérer, étape par étape, entre progrès économique et modernisation politique. Le pays d’origine de Melania Trump va ainsi subir un vigoureux retour du balancier démocratique. Figure du combat pour l’indépendance dans les années 1980, l’homme fort du pays, Janez Jansa, suit un parcours en dents de scie: élu premier ministre en 2004 et 2012; condamné pour corruption à de la prison ferme, puis libéré en 2015; enfin, revenu au pouvoir depuis mars 2020 à la tête d’une fragile coalition.

Le pays d’origine de Melania Trump a subi un vigoureux retour du balancier démocratique

Admirateur du premier ministre hongrois Viktor Orban et de Donald Trump, Jansa est surnommé «maréchal Twitto», en référence à l’ancien dictateur yougoslave Tito et à sa tendance à twitter comme l’ex-président américain. Sa proximité avec l’autocrate de Budapest s’est vérifiée, tout récemment encore, avec son refus de condamner la promulgation d’une loi hongroise discriminatoire envers la communauté LGBT. Partie de la gauche pour atterrir près de l’extrême droite, la mutation de Jansa s’est cristallisée avec la vague migratoire de 2015. Une trajectoire emblématique de l’ancrage du populisme en Europe centrale et orientale.

En basculant ouvertement du côté des pays en conflit avec les valeurs fondamentales de l’UE, la Slovénie a ainsi perdu son statut de pays passerelle. Avec Janez Jansa, la ligne de fracture entre Est et Ouest européen est à nouveau inscrite de façon ininterrompue dans la géographie, de la Baltique (Pologne) à l’Adriatique (Slovénie).

Contesté dans son pays

Alors que peut apporter cette courte présidence slovène (6 mois) à l’UE? Concrètement, rien de spectaculaire n’est attendu, tant le poids politique de Ljubljana est limité à Bruxelles. D’autant plus que Janez Jansa est très contesté dans son pays même, où les manifestations dénonçant la corruption et les dérives du gouvernement se sont multipliées ce printemps.

A l’image de son collègue hongrois, Jansa a résolument mis le cap sur un discours anti-migrants et une attaque brutale contre l’indépendance des médias. Le Conseil de l’Europe a d’ailleurs dénoncé l’utilisation de la crise sanitaire pour limiter la liberté de la presse en Slovénie. A preuve, le récent refus, par le Gouvernement slovène, de deux candidats à des postes de procureurs délégués pour le nouveau Parquet européen. Le tort de ces deux magistrats? Ils avaient enquêté, par le passé, sur des allégations de pots-de-vin en lien avec l’actuel premier ministre.

Aujourd’hui, en Slovénie, l’espoir est de voir s’alléger les pressions sur les voix dissonantes à la faveur de cette présidence européenne qui débute. Une fonction aux pouvoirs limités, si ce n’est celui de pousser en avant certains dossiers jugés prioritaires. Pour Ljubljana, ce pourrait être la création d’une «Union de la santé».

Reste que cette mission est contrainte par l’agenda de l’UE, dont l’urgence du moment est focalisée sur la relance économique. Objectif: mettre en route un vaste plan de 750 milliards d’euros, ce qui nécessitera l’approbation des Vingt-Sept. Autant dire qu’après avoir cédé aux accents populistes, la Slovénie de Janez Jansa devra retrouver le sens du consensus. Autrement dit, il lui faudra pédaler fort durant six mois à la tête du peloton européen… LA LIBERTÉ

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