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De l’écologie à l’écosophie

Miguel D. Norambuena voit la nécessité d’un nouveau contrat entre l’être humain et à nature dont il fait partie. Ce «saut qualitatif» passe par une transformation des mentalités et des comportements.
Réflexion

Va-t-on saisir l’opportunité que nous offre l’actuelle catastrophe virale «syndémique1>Richard Horton, rédacteur en chef de la revue The Lancet, considère l’épidémie de Covid-19 comme une «syndémie», soit la rencontre entre une maladie virale provoquée par le Sars-Cov2 et un ensemble de pathologies chroniques (hypertension, obésité, diabète, troubles cardio-vasculaires, cancer, etc. ndlr.) (R. Horton 2020, B. Stiegler, 2021) pour passer d’une perception capitalocène et exclusivement anthropocentrique à une perception du monde et de soi-même polycentrée, multispécifique (D. Haraway) et sensible à d’autres existences (V. Despret, 2021)? Difficile de le prédire, vu notre si profond enracinement dans des habitudes acquises, devenues des normalités reconnues comme notre normalité courante. A titre d’exemple, nous naissons, grandissons, vieillissons et mourrons avec pour horizon quotidien le béton (A. Jappe, 2020), ou autres trouvailles synthétiques au sol – «biotope» et socle de l’existence peu encourageants lorsqu’il s’agit de vivre et «aimer» la terre sur laquelle nous vivons. Pourtant, évoquer la terre, c’est d’une part reconnaître une infinité d’espèces d’humus, mais aussi reconnaître d’où nous venons, d’où nous nous développons et périssons. Ainsi, être au contact physique de la terre, c’est accepter qu’à coté de nous, les humains, des non-humains cohabitent, et proliféreront après nous par milliards. Il en va de même pour l’eau. Nous le savons, mais notre savoir est passif et contemplatif: ces eaux périssent parce que trop chaudes ou trop acides, et nous persévérons à les polluer avec une mécanique acquise des ménages et des usines. Cette dégradation se poursuit avec celle de l’air par les particules fines que nous produisons.

Lors des syndémies comme celles du Covid-19, la carence criante et journalière des espaces verts riches en biotopes dans nos villes accroît notre faiblesse immunitaire et nos infirmités – résultats de notre exponentielle sédentarité. Le constat est accablant. Un urgent renouvellement de paradigme s’impose. Malheureusement, l’asservissement «volontaire» des mentalités par le biais de la publicité incitative tout azimut sur les écrans nous empêche de saisir pratiquement, concrètement, la complexité immanente du vivant, humain et non-humain. Ce processus commence tôt à l’école et se poursuit toute la vie. Dès lors, la dématérialisation néolibérale gagne les esprits et suit inexorablement son cours sans résistance majeure. Pourtant, nos villes ont besoin de refuges «ressurgents» (A. Tsing, 2017), producteurs de vies diverses et spécifiques (D. Haraway, 2015), afin de se défaire du capitalocène envahissant. L’écologie qui, dans ce sens, aurait pu être socialement en première ligne s’est trop bureaucratisée. C’est pourquoi ce saut qualitatif nécessaire ne peut se réaliser que par le biais d’un paradigme inclusif «écosophique» (F. Guattari, 1989) actif quartier par quartier; c’est-à-dire coopératif et pluriel, non dissocié du mental, de la subjectivité, du désir, du social, de la politique et de l’exploitation paroxystique de l’environnement. Désormais, l’épanouissement des subjectivités, individuelles et collectives, passe par un seul mouvement composite et inclusif: joie de «vivre-avec-le-monde» et avec le soin de sa multispécificité!

Notes[+]

* Consultant indépendant psychosocial, Genève.

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