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Tordre le cou aux idées toutes faites

La brutalité des systèmes capitalistes en place rend impossible un épanouissement qualitatif de nos modes de vie, selon Miguel D. Norambuena. Face à cela, il s’agit d’adopter de nouvelles habitudes qui s’écartent des «redondances axées sur le profit à court terme».
Réflexion

Nombreuses sont les raisons – plus enfouies qu’elles ne semblent – de notre désengagement et de notre manque de sens de responsabilité vis-à-vis de la mal nommée «nature»: la terre, le sol et la biodiversité qui nous entourent. L’éducation joue un rôle. Toutefois, c’est la culture au sens large qui est en cause.

D’une part, l’écocide. C’est en 1970 qu’émerge ce terme, qui signifie la destruction des milieux naturels tels que la faune et la flore, sur fond de diverses dévastations: extinctions d’espèces, pollutions, déforestations, intoxications, déglaciations, incendies, bruit et inondations. Ces dévastations détruisent irréversiblement des modes de vie autochtones et locaux, mais aussi des biotopes et des espèces non domestiques. On peut aisément désigner un des responsables: les industries. Si cette démarche d’identification des responsabilités est nécessaire, elle s’évapore souvent. En effet, nos démocraties néolibérales vivent et se reproduisent grâce à leur plus-value à partir d’un minimum vital inacceptable.

Elles utilisent l’abus de pouvoir et l’extractivisme comme méthode. Cette méthode intolérable est la condition sine qua non de leur survie.
D’autre part, le burn-out. Depuis toujours, la maltraitance institutionnelle est perçue et traitée comme un dysfonctionnement de la relation entre le capital et le travail. Cependant, le burn-out a fait son entrée triomphale dans les mœurs managériales. Et pour cause: il tire ses lettres de noblesse du surtravail et de la déshumanisation des rapports. En d’autres termes, il fait son entrée par la petite porte sur le marché du travail grâce à la surproduction, clé de voûte de la compétitivité sur le libre marché.

Le sol, de son côté, a très tôt été utilisé comme un grand marché d’où l’on pouvait tirer une abondante surproduction de gain à court terme grâce à la monoculture, au détriment des petits agriculteurs. Le sol joue également un rôle important dans les infrastructures routières. Le bétonnage de kilomètres de routes, sans égard pour les habitants qui vivent aux alentours, en est un bon exemple, comme le montre l’ouvrage Béton. Enquête en sables mouvants (A. Bengana, C. Baechtold, A. Maréchal, 2024).

Dès lors, le surtravail humain et non humain d’une part et la monoculture de l’autre, deux régimes de production intensive, mettent en burn-out – soit hors capacité d’agir – tantôt le sol, tantôt l’humain, en les poussant à se surpasser jusqu’à perdre l’amour, le respect et la dignité d’eux-mêmes. Compte tenu de la brutalité des systèmes d’asservissement capitalistes mis en place, il n’y a pas ou peu d’horizon d’épanouissement qualitatif des modes de vie, des habitudes, ou des singularités de chacun et de chacune. Les politiques de réaménagement urbain impliquant la destruction de bâtiments et de modes de vie croissent sans véritable contrepoint, en raison de l’incapacité et du manque d’imagination des classes dirigeantes et des politiques. La société numérique dans laquelle nous sommes plongés n’arrange rien. Bien au contraire, elle nous mène vers une «stérilisation de la culture collective» (Anne Alombert, 2024).

Il est toujours possible de modifier une situation, mais il faudra pour cela un sursaut, un éveil, une bifurcation profonde de nos habitudes quotidiennes. Ce changement sera le fruit d’un grand effort, d’une attention, d’un soin paradigmatique. Il ne viendra pas des redondances axées sur le profit à court terme. D’ores et déjà, au cœur même de cet asservissement, c’est donc à nos habitudes quotidiennes qu’il faut prêter toute notre attention. En effet, si ces habitudes nous permettent de construire notre vie au jour le jour, ce sont aussi elles qui nous empêchent également de sentir, de saisir et de penser à ce que nous faisons, et où nous marchons, à la hauteur des problèmes posés.

Cet éveil des habitudes doit s’accompagner d’actes concrets, matériels et situés: des «gestes mineurs» (Erin Manning, 2023) issus de l’imagination et de la créativité pratique de chacun·e. De nouvelles habitudes quotidiennes doivent impérieusement être adoptées, ici et maintenant, afin de répondre aux besoins de soin de nos proches et de notre environnement quotidien, dans la joie et la créativité du dépassement des idées toutes faites.

L’auteur est consultant psychosocial, ancien directeur du centre Le Racard et fondateur du Dracar à Genève.

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