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Pseudo-alliés, vrais oppresseurs

L'actualité au prisme de la philosophie

Dans les milieux militants pour la justice sociale, la notion d’allié·e est maintenant bien établie. Pourtant, se pose également le cas des pseudo-allié·es.

Définition et catégories d’allié·es. On appelle généralement allié·e une personne qui n’est pas concernée directement par une oppression, mais qui souhaite aider à lutter contre celle-ci. Il faut néanmoins distinguer deux types d’allié·es. Le premier cas est ce qu’on peut appeler les allié·es «opprimé·es/privilégié·es». Dans une conception intersectionnelle des oppressions, la plupart des personnes cumulent à la fois des oppressions et des privilèges. Il n’y a pas d’opprimé·es ultimes qui cumuleraient toutes les oppressions.

Néanmoins, il existe en revanche des personnes qui cumulent tous les privilèges. Ce sont les alliés «super-privilégiés». Soit des hommes, blancs, valides, hétérosexuels, cisgenre, de classe moyenne supérieure ou de classe supérieure qui, tout en cumulant tous les privilèges, souhaitent être des alliés dans les luttes pour la justice sociale. Du fait de tous leurs privilèges sociaux cumulés en termes d’accès aux ressources, il s’agit de personnes qui peuvent être utiles aux luttes.

Si être socialement privilégié·e ou socialement opprimé·e est une position sociale objective, se constituer en allié·e relève d’un choix éthico-politique. Malheureusement, si ce choix peut être animé d’intentions louables, on peut constater qu’il cache parfois des logiques plus inavouables.

Reconnaître les pseudo-alliés. Il s’agit ici de s’intéresser au cas des pseudo-alliés qui sont des personnes qui cumulent tous les privilèges sociaux. Ce type de pseudo-allié se présente en apparence comme un allié. Néanmoins, sa stratégie est en réalité d’accumuler du capital symbolique en se présentant comme un défenseur des luttes pour la justice sociale. Il est possible de distinguer chez ces personnes plusieurs attitudes.

• Le manque de cohérence. Ce type de faux allié maîtrise parfaitement le vocabulaire de la justice sociale, mais il ne change rien à son comportement. Il met en avant le fait qu’il s’agit de problèmes structurels pour justifier son manque d’éthique et de cohérence. Par exemple, concernant le sexisme, il invoquera que le sexisme est structurel pour justifier la reproduction des rapports sociaux de sexe et ne pas se remettre en question;

• Le tone policing. Le pseudo-allié faisant usage du tone policing reproche en particulier aux femmes féministes leur absence de care dans la prise de parole. Ces faux alliés leur demandent de faire valoir leur point de vue en tenant compte de leur «fragilité d’homme blanc de classe moyenne supérieure». Ce qu’ils omettent de dire, c’est que le manque de tact des opprimé·es s’explique par toute la violence qu’elles vivent au quotidien et quand, à bout, elles font valoir cette violence, on leur intime de faire preuve de care…;

• Le privilégié pseudo-victime. Le privilégié pseudo-victime est une personne qui ne subit aucune discrimination sociale. Il est un homme blanc, a minima de classe moyenne, perçu socialement comme gender conforming. Néanmoins, il tend à réduire les oppressions à une auto-catégorisation ou à s’approprier les oppressions d’autres personnes, par exemple de proches. Or une oppression n’est pas une question d’autodéfinition de soi, mais une expérience vécue en propre. Ce qu’ont en commun les personnes socialement opprimées, ce sont des expériences sociales de violences, d’agressions, vécues personnellement etc.;

• La bonne conscience et l’absence de culpabilité et de remords. Ce type de faux allié, qui peut être un vrai oppresseur, cherche surtout à se donner une bonne image de lui même. Il veut bénéficier d’une image de social justice warrior tout en continuant à bénéficier socialement de tous ses privilèges sociaux, en termes professionnels par exemple. Il se caractérise également par son absence de culpabilité et de remords sur l’impact que la réalisation de ses intérêts personnels peut avoir sur les autres. Il cherche en tout temps à se justifier et manipule à son profit, pour cela, le vocabulaire de la justice sociale;

• La prise de parole et la mise en avant. Ce type de faux allié en général tend à occuper le devant de la scène dans les luttes sociales. Tout en bénéficiant objectivement de tous les privilèges sociaux, il cherche à faire carrière sur les luttes des personnes socialement dominées, et à acquérir du prestige symbolique de cette manière là;

• L’absence de remise en question. Ce genre de pseudo-allié est incapable de remise en question lorsqu’on lui fait une remarque sur ce qui ne va pas dans son comportement. Il se considère toujours légitime dans ses actes et ses propos;

• L’accumulation de privilèges. Le faux allié de ce type est caractérisé par le fait qu’il cherche à accumuler tous les privilèges sociaux. Au-delà de ceux qui sont traditionnellement socialement les siens, il vise aussi à acquérir un prestige symbolique au sein des luttes minoritaires. Il n’est pas dans le desempowerment, il se caractérise par le fait qu’il ne veut lâcher aucun de ses privilèges sociaux, en particulier dans le monde professionnel.

* Enseignante en philosophie et chercheuse en sociologie, présidente de l’IRESMO, Paris, iresmo.jimdo.com

Opinions Chroniques Irène Pereira

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