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«Non-contagiosité»

En marge du débat portant sur le passeport Covid, Alexandre Chollier s’intéresse à la contagiosité post-vaccinale du virus: la vaccination permet de réduire la contamination, mais non de l’éradiquer. Eclairage.
Covid-19

C’est une dépêche de l’ATS qui le dit: près de trois quarts des Suisses et des Suissesses souhaitent se faire vacciner contre la Covid-19. On apprend par la même occasion qu’actuellement 11,7% de la population suisse l’est déjà1>Cf. «Trois Suisses sur quatre veulent être vaccinés contre le Covid-19», Swissinfo.ch, 8 mai 2021.. Je le constate et ne cherche pas, pour l’instant, à savoir pourquoi. Ce qui est certain c’est que l’immunité collective semble être à portée et que tout le monde s’en réjouit.

Six mois après la «formidable nouvelle» du 9 novembre 2020, tandis que Pfizer annonçait via un communiqué de presse que son vaccin ARN était efficace à 90% et voyait par la même occasion son cours en bourse s’envoler, nous devons bien convenir qu’un bout de chemin a été parcouru et de nombreux obstacles levés (tout au moins dans les pays développés). Outre les problèmes logistiques liés à la fabrication, au transport et à l’administration des vaccins, il y eut celui autrement plus complexe de l’adhésion du public. Mais là aussi l’évolution est a priori remarquable, comme le laissent supposer les chiffres.

Alors qu’actuellement la presse se fait l’écho de nombreuses et nécessaires discussions sur les enjeux du passeport Covid, il vaut la peine de se retourner sur ce «succès». Un récent article, «Passport pour la normalité?», constitue à mon avis un point d’entrée privilégié dans le sujet.

Je passe sur les différents enjeux relatifs à la sécurité des données, aux problèmes de discrimination et de restriction des libertés, pour me retourner sur une affirmation en apparence anodine: «Le certificat Covid est avant tout une attestation de non-contagiosité de son détenteur ou de sa détentrice.» En apparence seulement, car l’idée selon laquelle la vaccination équivaut à une disparition pure et simple de la contagiosité laisse en vérité pantois. Ce n’était pourtant pas faute d’experts puisque, outre un médecin-chef, étaient interviewés dans l’article une bioéthicienne, un préposé fédéral à la protection des données ainsi qu’un professeur de droit.

Cette absence de questionnements interpelle donc. D’où mon premier réflexe: aller voir ce que disent de la contagiosité post-vaccin les représentants de la pharma, par exemple le co-concepteur du vaccin Pfizer, Ugur Sahin, patron de BioNtech. Dans une interview récente, il aborde le sujet de l’efficacité, oui, mais sous un seul angle: la personne vaccinée est-elle ou non protégée? Autrement dit, quelle chance a-t-elle de ne pas développer de symptômes. Qu’elle ait été infectée (et puisse être infectieuse pour d’autres) ne semble guère importer.

Depuis le 9 novembre dernier, c’est ce type de discours qui domine. Dès lors Ugur Sahin peut en toute bonne foi se targuer d’une efficacité très élevée (près de 96% selon lui) sans s’inquiéter outre mesure de la contagiosité. Bon, petite déception quand même à l’entendre rappeler que cette efficacité baissera au fil des mois, exigeant des vacciné·es de «booster [leurs] défenses régulièrement avec une autre injection entre un an et 18 mois plus tard».

Deuxième réflexe: aller voir ce qu’en dit l’OMS. Au contraire des acteurs privés, l’institution onusienne ne peut jouer l’esquive. Sur la page Internet dédiée, sous la rubrique «Peut-on se passer de précautions…» (mise à jour, 8 avril 2021), nous lisons: «Même si un vaccin contre la Covid-19 vous protège contre les formes graves et létales de la maladie, nous ne savons toujours pas dans quelle mesure il vous prémunit d’une infection et vous empêche de transmettre le virus à d’autres personnes.» Nous tenons enfin notre information.

Elle est d’autant plus significative qu’elle tient compte des premières études réalisées – au Royaume-Uni et en Israël, deux pays où la campagne de vaccination a été menée tambour battant –, à savoir que la vaccination permet de réduire la contamination, de la réduire oui – et ceci fut une surprise pour les chercheurs – mais non de la supprimer.

Durant les mois à venir de nouvelles recherches vont sans aucun doute nous permettre de mieux comprendre comment vaccin et virus interagissent, mais une chose demeure certaine: il ne peut être question de gommer l’extraordinaire complexité de ces interactions.

Personnellement je crois le public capable de la saisir. Ignorer ce fait et lui servir des explications à la semaine, c’est prendre le risque de voir l’adhésion se transformer en défiance. Nous savons qu’il n’est rien de plus contagieux.

Notes[+]

Alexandre Chollier est géographe et enseignant.

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