Suisse

Le prix du bois flambe

Les entreprises de construction suisses sont piégées par la pénurie de matériaux et la hausse des prix.
Le prix du bois flambe
La tension sur le marché met les entreprises en situation périlleuse. KEYSTONE
Matières premières

«Le prix du bois pour une charpente a quasiment doublé en quelques semaines et les délais de livraison des produits en bois sont passés de 7 jours à 16 semaines. Nous sommes contraints de faire des offres avec des prix non garantis et des délais de livraison incertains. C’est devenu quasiment ingérable.» Alain Métrailler n’a jamais vu ça en trente ans de métier.

Comme les autres acteurs de la construction, l’entreprise générale qu’il dirige, Dénériaz Groupe, à Sion, a été frappée de plein fouet par la hausse fulgurante des prix du bois et une quasi-pénurie sur le marché mondial. Et cela vaut aussi en partie pour d’autres produits tels que l’acier et des dérivés du pétrole (voir ci-contre).

La construction connaît une tension sans précédent, la demande internationale ayant explosé. La faute aux deux premières économies mondiales, la Chine et les Etats-Unis, en plein rattrapage. Elles achètent beaucoup de matériaux, en particulier sur le marché européen. Le hic, c’est que 60 à 70% du bois de chantier en Suisse provient des pays voisins, principalement d’Allemagne et d’Autriche. A l’image de ces sciages et produits collés qui n’arrivent plus qu’au compte-gouttes depuis mars.

Des prix doublent

«Cette semaine, notre fournisseur allemand nous a dit qu’il ne prenait plus de commandes jusqu’au 20 mai et que la validité des offres était à trois jours. Il a dû mettre 50% de son personnel au chômage partiel par manque de matières premières», se désole Yves Tendon, codirecteur de Batipro, à Saint-Ursanne. Son entreprise de construction en bois a été contrainte de se rabattre sur des fabricants de lamellé-collé suisses, dont les tarifs sont moins chers désormais que les prix allemands. «Si nous travaillons habituellement avec l’Allemagne, c’est pour des raisons de prix, mais aussi parce qu’ils ont une gamme de produits semi-finis qui ne sont pas fabriqués en Suisse», avance le responsable.

D’autres produits sous tension

La demande massive de bois n’est pas la seule à secouer le secteur de la construction suisse. D’autres matériaux ont vu leur prix décoller, comme l’acier et les produits dérivés du pétrole (bitumes, plastiques, isolations, etc.). «Nous ressentons une grosse pression sur les prix, qui ont beaucoup augmenté depuis novembre-décembre 2020», éclaire Jean-François Suchet, directeur général de Morand Constructions Métalliques, à Enney, un des leaders romands de la branche, qui s’approvisionne en Europe. Les profils métalliques ont par exemple pris 35% depuis décembre. «Cette tendance haussière va se répercuter directement sur nos clients et le coût de la construction», indique le patron gruérien. «Mais au moins, il n’y a pas encore de pénurie dans notre domaine.»

Gétaz-Miauton, basé à Saint-Légier, un des principaux grossistes en matériaux de construction du pays, travaille déjà en flux tendu pour certains produits. «La pénurie se traduit par des délais d’approvisionnement beaucoup plus longs pour des catégories comme le bois, les tuyaux en polyéthylène, les produits chimiques, l’acier et le plâtre», observe Jean-Christophe Faré, directeur de la division Gros-Œuvre. «Nous craignons de ne plus pouvoir satisfaire la totalité des demandes de nos clients ces prochaines semaines. Ce qui aurait pour conséquence le ralentissement de certains chantiers.» TJ

Les entreprises doivent scruter les mises à jour quotidiennes des prix du bois en provenance d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse. Le bois de charpente valait 500 francs le mètre cube encore en début d’année. Depuis mars, ce prix a doublé. «Les hausses varient selon les types de demande, de 30% à plus de 100% pour les bois massifs comme les bois transformés», détaille Pascal Schwab, président de la Fédération romande des entreprises de charpenterie, d’ébénisterie et de menuiserie (FRECEM).

Négocier avec le client

Cette volatilité du marché met dans une situation périlleuse les entreprises qui ont signé avec leurs clients des contrats à prix fixes il y a quelques mois. «Les craintes des entreprises du secteur, ce sont des pertes financières sur certains contrats car elles devront prendre sur elles les augmentations de prix», se préoccupe Alain Métrailler, qui est aussi président de l’Association valaisanne des entrepreneurs (AVE) et président de Constructionvalais. «Si ces hausses se maintiennent durant une longue période, elles vont fortement diminuer les marges des entreprises.»

Est-il possible de répercuter sur le client une partie des majorations de prix? «Même si le contrat a été signé pour des prix fermes, il y a encore moyen de discuter», conseille Pascal Schwab. «L’entrepreneur peut considérer que cette hausse hors du commun est un cas de force majeure qu’il était impossible de prévoir.» La majorité des clients maintiennent pour l’instant leur engagement, apprécie Yves Tendon, dont le carnet de commandes est presque plein pour l’année en cours tant la demande est forte.

Encore faudra-il que les produits arrivent. Les délais de livraison se rallongent. «Il y a désormais 12 à 15 semaines d’attente sur des produits basiques comme des panneaux de bois, contre deux à quatre auparavant», déplore Pascal Schwab, également directeur de l’entreprise spécialisée dans la construction en bois Schwab-System, à Gampelen. «Nous avons commandé des panneaux de fibre de bois pour l’isolation phonique, et notre fournisseur ne pouvait nous donner des prix que quatre semaines avant de livrer. Comment gérer les commandes dans ces conditions?»

Crainte de licenciements

Les retards de chantiers sont devenus la norme et les reports restent encore une exception. «Nous n’aimerions pas devoir mettre une partie de notre personnel à l’arrêt par manque de livraisons», avoue Yves Tendon. Pascal Schwab va plus loin: «Des entreprises sont mises en péril. Nous craignons des licenciements ou des mises au chômage partiel pour la branche.» D’autant qu’aucune perspective de retour à la normale à court et moyen terme n’est observée par les milieux du bois.

«Les conséquences à court et moyen terme sur les entreprises risquent d’être dramatiques», prévient Alain Métrailler. «De nombreux projets vont être différés ou annulés. Et si certains d’entre eux, en cours de planification, vont se faire, ce sera avec d’autres matériaux.» A condition qu’ils ne soient pas, eux non plus, en rupture de stock…

Trois questions à Michael Gautschi, directeur d’Industrie du Bois suisse

Qui tire profit de cette hausse des prix?

Les producteurs de bois à l’étranger profitent certainement de cette augmentation des prix, surtout ceux qui livrent aux Etats-Unis. Pour les produits suisses, c’est plus difficile à dire. Les prix ont moins augmenté, entre 5 et 15% depuis janvier. Mais ils vont encore croître avec la demande en hausse. Depuis quelques semaines, les scieries du pays bénéficient un peu de la situation. A l’inverse, la situation pèse sur les charpentiers et autres métiers du bois dans la construction. Mais il ne faut pas oublier que ce sont eux qui ont profité jusque-là des bas prix, en achetant à l’étranger. Si les tarifs des produits suisses remontent un peu, ce n’est pas grave car ils sont trop bas. Cela permettrait une correction de prix. Mais il faut éviter une forte hausse sinon nous serions perdants face au béton et au métal.

Comment compenser cette pénurie de produits étrangers?

S’il y avait des possibilités, nous le ferions. Depuis des décennies, les scieries suisses perdent des parts de marché. Elles ne gagnaient pas beaucoup car les prix diminuaient jusqu’à récemment et les marges restaient faibles. Il est vrai qu’il y a du potentiel en Suisse. La forêt croît de 10 millions de m3 par an. Sur les 5 millions de m3 de bois brut récoltés par année, les scieries produisent 1,2 million de bois de sciage. Mais c’est insuffisant pour alimenter les chantiers, où 60 à 70% du bois viennent de l’étranger. Nous avons pourtant déjà augmenté de 38% depuis 2016 le volume de bois transformés en Suisse.

Est-il possible d’augmenter les capacités pour réduire la dépendance aux scieries étrangères?

Nous essayons d’augmenter les capacités de sciage et des bois transformés en Suisse mais les prix des terrains et des salaires y sont très élevés. En outre, les producteurs en Europe sont subventionnés par l’UE, pas les Suisses. Or, il faut de gros investissements pour construire une usine de transformation chez nous. Une petite usine de lamellé-collé, c’est déjà 10-20 millions de francs et cela prend du temps.

TJ

 

Suisse Thierry Jacolet Matières premières

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