ÉQUATEUR DÉBOUSSOLÉ
Un banquier néolibéral, issu de la bonne vieille oligarchie de Guayaquil, accédera le 24 mai prochain à la présidence de l’Equateur. Dans un pays qui n’avait plus voté pour un candidat de droite depuis 1998, et qui s’est ensuite soulevé à deux reprises contre des chefs d’Etat ayant trahi leurs promesses sociales (Lucio Gutiérrez en 2005, Lenin Moreno en 2019), le succès, dimanche, de Guillermo Lasso (52,4%) face à Andrés Arauz, candidat de l’Union pour l’espérance (UNES, gauche), a de quoi surprendre et désespérer. D’autant que les candidats se revendiquant du progressisme social et écologique avaient trusté plus des deux tiers des suffrages au premier tour!
Ce revers s’explique pourtant assez facilement: en refusant de choisir entre le jeune économiste keynésien, dauphin de Rafael Correa, et l’homme d’affaires membre de l’Opus Dei, le mouvement indigéniste et écologiste Pachakutik/Conaie, dont le candidat Yaku Pérez avait échoué de justesse à atteindre le second tour, a offert la victoire finale aux partisan∙nes des privatisations, de l’alignement sur Washington et du tapis rouge déroulé aux entreprises multinationales. Plus de 1,7 million de votes nuls ont ainsi été expédiés dans les poubelles de l’histoire, alors qu’il n’en a manqué que 400 000 à Andrés Arauz pour accéder à la présidence et tenter d’appliquer son programme aux inspirations écosocialistes. La Pacha Mama appréciera.
Bien sûr, la convergence entre la social-démocratie teintée de jacobinisme du courant de l’ex-président Rafael Correa (2006-2017) et les aspirations écologistes et décentralisatrices, notamment exprimées par les autochtones, reste à faire (Le Courrier du 5 février 2021). Mais il eût été autrement plus fécond qu’elle s’expérimente au pouvoir, où Pachakutik et l’UNES dominent le parlement, plutôt que dans l’opposition à un énième président godillot de l’impérialisme. Pour autant, évidemment, que le parti de Yaku Pérez cesse cette guerre fratricide dont les seuls bénéficiaires sont l’oligarchie équatorienne et le capital transnational.
Soumis depuis quatre ans à la persécution judiciaire, le camp de Rafael Correa n’a certes pas démérité, mais sa défaite et l’émergence de Pachakutik le mettent désormais au défi d’une refondation. Contrairement aux gauches argentine (justicialiste) et bolivienne (MAS), qui ont su récemment reconquérir le pouvoir, Andrés Arauz n’a pu s’appuyer sur une solide organisation populaire, un parti/mouvement social capable de porter massivement une alternative au discours dominant. Dans une Amérique latine où la corruption et les médias à la solde des lobbys dominent l’espace public, la gauche, à défaut d’un leader charismatique par essence exceptionnel, a plus que jamais besoin d’ancrage social et d’unité.