«En tant que paysan, je me questionne»
Je suis paysan-vigneron. Je me permets d’exprimer mon ressenti sur les futures votations concernant l’agriculture. Nous, paysans et paysannes, nous avons à choisir entre la peur de perdre les aides liées à la technocratique politique agricole PA 22 et le désir de participer à l’agriculture biologique. Personnellement je vais voter «oui» à l’initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse (et «non» à l’initiative Eau propre1>L’initiative en question prévoit de priver d’aides fédérales les exploitations faisant usage de pesticides, d’antibiotiques en élevages à titre prophylactique, ou encore celles qui ne réussissent pas à nourrir leurs animaux avec ce qu’elles produisent., qui manque d’objectivité en stigmatisant l’agriculture).
Comme il est fréquent depuis plus de vingt ans, ceci avant chaque votation sur des initiatives qui se veulent progressistes, les détenteur·trices du pouvoir économique véhiculent avec l’aide de leurs assujetti·es une communication basée sur la peur et le déni. Le déni de reconnaitre la part de responsabilité de l’agriculture face à l’état actuel de la nature. Et la peur qui permet de prédire le pire si l’on change de cap. Cette posture de victime enlève aux paysan·nes toute velléité d’imaginer un autre possible que celui prôné par l’Office fédéral de l’agriculture. A l’occasion des votations du 13 juin, ne serait-il pas temps d’accepter notre part de responsabilité et d’abandonner nos peurs du changement? Allons-nous continuer de dire «non»? Non, comme pour les initiatives pour la souveraineté alimentaire. Non à des aliments équitables. Non aux multinationales responsables et encore non au référendum sur l’huile de palme. Allons-nous, sans autre questionnement, réserver le même refus à l’initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse?
Le «oui» ou le «non» glissé dans l’urne ne doit pas découler de slogans, il est de notre responsabilité de citoyen·nes d’écouter l’autre et de s’informer – non pas de la «vérité», mais d’éléments factuels, scientifiques, sociaux, environnementaux et économiques crédibles – afin de construire sa pensée. Pour répondre aux enjeux du futur, nous avons besoin, avant les votations du 13 juin, d’un engagement constructif de nos chambres d’agriculture. Elles doivent dépasser la posture de porte-voix de l’Union suisse des paysans. Elles doivent organiser des tables rondes entre paysan·nes, avec des médiateurs ou médiatrices neutres pour pacifier les échanges. Ce serait une opportunité pour partager nos expériences. Pour qu’enfin la base paysanne puisse exprimer son ressenti. Il est essentiel de donner la parole aux jeunes, car ils et elles seront les forces vives de nos exploitations en 2030.
Actuellement, beaucoup d’entre nous s’épuisent par loyauté à la terre. Le pouvoir politique en profite, il impose aux paysans et aux paysannes la compétitivité en exigeant une production toujours plus durable. Cet antagonisme est intenable dans un système de plus en plus dérégulé: le prix de nos productions – bio ou non bio – a pour seule valeur celle que la Migros ou la Coop sont prêtes à donner. Les transformateurs et la grande distribution sont les maîtres du jeu. Unique échappatoire, la vente directe nous permet de conserver quelque espoir. Pourtant, chaque jour, deux fermes disparaissent. La politique agricole technocratique prônée par la Confédération n’est tout simplement pas compatible avec une agriculture familiale en lien avec la nature.
Il est lamentable que la Confédération n’ait pas jugé bon de proposer un contreprojet à l’initiative; cela démontre son incapacité à définir l’agriculture de demain. Si, le 13 juin, l’initiative pour une Suisse sans pesticide de synthèse est acceptée par le peuple, nos organisations professionnelles devront être attentives à l’élaboration de la loi. Car le futur de l’agriculture suisse produite sans pesticides de synthèse sera difficile à concrétiser, mais il donnera une opportunité pour reconstruire le lien et la confiance entre nos campagnes et la population de notre pays. Dix ans pour parvenir progressivement à une agriculture équitable et sans pesticides de synthèse représente un défi pour nous, paysans et paysannes, mais aussi à notre société.
Ceci pour qu’en2030, le pays compte 1000 fermes de plus qu’aujourd’hui. Une Suisse ou les paysan·nes formeront des apprenti·es avec fierté, qui deviendront à leur tour les paysans et paysannes de demain.
Notes
Notre invité est paysan-vigneron, à Soral (GE). Membre d’Uniterre et du Mouvement pour une agriculture paysanne et citoyenne (MAPC).
Information: https://pesticides-en-question.ch/