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1948: la Colombie à un tournant

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1948: la Colombie à un tournant?

Au cours de la première moitié du XXe siècle, de nombreux pays d’Amérique latine ont connu leur «révolution nationale», processus politique plus ou moins long à travers lequel les classes moyennes et populaires ou certains de leurs représentants se sont emparés du pouvoir. Rien de tel en Colombie, où l’hégémonie de l’oligarchie – avec ses représentants au sein du Parti libéral comme du Parti conservateur – n’a souffert que de peu de remise en question. Excepté peut-être en l’année 1948, au cours de laquelle des événements tragiques contribueront à modeler une grande partie de l’histoire du pays et de ses luttes populaires.

Le 7 février 1948, ce qui est alors la plus grande manifestation de l’histoire de la Colombie se déroule à Bogotá. Jusqu’à 100 000 personnes répondent à l’appel du leader du Parti libéral Jorge Eliécer Gaitán pour une marche du silence en l’honneur des victimes du gouvernement conservateur. Gaitán est un tribun hors pair, très populaire au sein de la classe ouvrière urbaine et grand pourfendeur des élites traditionnelles de son pays. Issu du Parti libéral, il l’a quitté au début des années 1930 avant d’y revenir et d’en prendre la tête en 1947. Ancien maire de Bogotá, il incarne l’aile gauche de son organisation et est déjà désigné comme son candidat en vue des élections présidentielles de 1950.

Annoncé comme grand favori de ce futur scrutin, il succèderait alors au conservateur Ospina Pérez. Celui-ci a été élu en 1946 après une quinzaine d’années de pouvoir libéral qui, par les réformes timides qu’il a entamées, n’a fait qu’alimenter les revendications des secteurs populaires. De retour aux manettes, les conservateurs et leur police politique répriment les libéraux les plus progressistes à travers tout le pays. La manifestation de ce début du mois de février 1948 est donc une démonstration de force.

Deux mois plus tard, alors qu’il se rend à une série de rendez-vous (dont un avec le tout jeune Fidel Castro!), Gaitán est tué en pleine rue par un jeune homme dont les motivations resteront à jamais incertaines. L’assassin est en effet lynché à mort par la foule qui l’a rattrapé et son corps est promené dans les rues de la capitale. En ce 9 avril 1948 débute le Bogotazo, une série d’émeutes qui secouent la ville pour venger la mort de celui qui, encore aujourd’hui, est considéré comme l’une des plus grandes figures politiques de l’histoire de la Colombie. C’est aussi, aux yeux de beaucoup, le coup d’envoi de la Violencia, cette décennie de violences qui se propage à travers tout le pays et fait plusieurs centaines de milliers de victimes jusqu’à la fin des années 1950.

Mais en réalité les insurrections gaitanistes qui éclatent après l’assassinat de leur leader ne font qu’exacerber un cycle de violence déjà entamé, comme le prouve la manifestation du 7 février 1948. Les élites conservatrices, ainsi qu’une partie des Libéraux, n’ont jamais supporté l’irruption des travailleurs urbains et des masses rurales sur la scène de l’histoire nationale. Au cours des deux décennies précédentes, de nombreuses mobilisations sociales ont en effet été réprimées dans le sang et les deux grands partis se sont eux-mêmes affrontés en faisant appel à des milices paysannes, comme en écho aux violences du XIXe siècle.

Cette fois-ci, les Libéraux les plus à gauche trouvent à leur côté les Communistes, dont le parti a été formé en 1930 et qui sont bien implantés dans certaines régions rurales du pays. Les guérillas qui se forment alors pour combattre les milices des Conservateurs et l’armée constituent un vivier pour de futures organisations de lutte armée. Ainsi de Pedro Antonio Marin, un paysan aux sympathies de gauche qui rejoint après 1948 une guérilla libérale dans le département de Tolima avant de fonder un groupe d’autodéfense communiste et de prendre le nom de Manuel Marulanda. Plus connu sous le nom de Tirofijo, il participera en 1964 à la fondation des Forces armées révolutionnaires de Colombie, dont il sera le principal dirigeant jusqu’à sa mort en 2008.

* L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation, info@atelier-hem.org

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