Agora

Gouverner avec une vue à long terme

Dans une lettre ouverte à Ueli Maurer, Caroline Varidel réagit à l’annonce faite par le Conseil fédéral d’élargir l’aide octroyée aux cas de rigueur, tout en laissant les cantons en assumer le coût.
Économie

A la suite des annonces du Conseil fédéral de mercredi dernier [13 janvier], je me dois de prendre la plume pour vous faire part de mon indignation.

Depuis un an, la Suisse, comme le monde entier, subit de plein fouet la pandémie de Covid-19. Tous les acteurs, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou sanitaires, apprennent sur le tas et tentent au mieux de garder le cap. Pourtant, une figure fait exception, et j’ai le regret de vous informer qu’il s’agit de vous-même. Je suis profondément choquée par votre attitude qui consiste à vous asseoir fermement sur un paquet de milliards dont il vous est, selon vos propres dires, impossible de dépenser le moindre franc sans que cela vous fasse mal.

L’annonce faite d’élargir l’accès aux cas de rigueur sans pour autant verser aux cantons le moindre centime relève non seulement de l’hypocrisie, mais nous en apprend long sur le profond mépris que vous avez du peuple suisse. L’argent que possède la Confédération, l’argent que possède la Banque nationale suisse (21 milliards de bénéfices en 2020!) n’est pas le vôtre, Monsieur le Conseiller fédéral! Il ne vous appartient pas de refuser aux PME et aux indépendants qui font la force économique de ce pays l’aide non seulement dont ils ont urgemment besoin, mais à laquelle ils ont droit!

En fait, les restaurateurs, hôtels, bars, discothèques, théâtres, cinémas, taxis, bowlings, escape games, salles de concert et tous leurs musiciens, petits commerces non essentiels (bijouteries, photographes, agences de voyage, blanchisseries, librairies, magasins de jouets ou de cadeaux, petites enseignes de vêtements, sous-traitants en tout genre – la liste est loin d’être exhaustive) sont fermés et ont l’interdiction de gagner leur vie pour permettre au reste de la population de se sortir de ce marasme.

Certain·e·s ont le droit de rester en activité, mais ont vu leur chiffre d’affaires s’écrouler durant les dix derniers mois. En d’autres termes, ces entreprises, PME ou indépendants, agissent concrètement pour aplanir la courbe des contaminations, pour sauver des vies et pour éviter la surcharge des hôpitaux. C’est un immense service rendu à la population. Il s’agit ni plus ni moins d’assistance à personnes en danger.

Et vous, Monsieur le Conseiller fédéral, que faites-vous concrètement pour sortir le peuple suisse de ce marasme? Vous continuez à serrer compulsivement les cordons de la bourse. Vous seriez bien inspiré de prendre exemple sur le «quoiqu’il en coûte» de Monsieur Macron, ou sur Madame Merkel qui n’hésite pas à indemniser les entreprises de son pays à raison de 75% de leur chiffre d’affaires.

Car il s’agit bien de cela, Monsieur le Conseiller fédéral: d’une indemnisation pour service rendu à la population, à fonds perdus, afin de permettre aux PME et autres indépendants de ce pays de se relever. Chaque faillite, chaque personne expulsée de son logement pour défaut de paiement, chaque indépendant·e à charge de l’aide publique, chaque entrepreneur·e·désespéré·e qui passera à l’acte, pour tous ces drames qui ne manqueront pas de se nouer, je n’ai qu’un mot: honte. Honte à notre pays, honte aux dirigeants qui refusent de voir la réalité, honte à la BNS, honte à la Confédération. Un gouvernement se doit de diriger avec une vue à long terme.

La situation ne s’améliorera pas avant juin 2021 au plus tôt. Les dégâts économiques et sociaux que vous avez maintenant sous les yeux ne sont que la pointe de l’iceberg. Que retiendra l’histoire de cette pandémie? Que la Suisse, un des pays les plus riches du monde, a préféré laisser mourir son tissu économique et social, au sens propre comme au sens figuré, plutôt que de dépenser l’argent qu’elle avait? Quel manque de vision. Quel égoïsme de la part de quelques nantis dont le salaire tombe immanquablement dans leur escarcelle. Quel mépris. Quelle tristesse.

Caroline Varidel est physiothérapeute, Bernex (GE).

Opinions Agora Caroline Varidel Économie

Connexion