Édito

Guerre sans fin au Sahel

Guerre sans fin au Sahel
Huit ans d’intervention française au Mali n’ont pas permis de stabiliser une région sahélienne où les conflits ethniques, les insuffisances de l’Etat et la pauvreté ont fait le lit de groupes islamistes armés, eux-mêmes en lutte permanente. Photo d'illustration. Keystone
Sahel

L’aviation française a-t-elle abattu une trentaine de djihadistes maliens le 3 janvier dernier, comme elle l’affirme, ou a-t-elle involontairement assassiné dix-neuf villageois réunis pour un mariage? Deux semaines après la tuerie de Bounti, dans le centre du Mali, le soupçon persiste, et persistera probablement tant que Paris n’acceptera pas de fournir les images de son drone, sur la base desquelles l’opération meurtrière a été déclenchée.

Bévue ou pas, l’affaire vient nous rappeler que près de huit ans d’intervention française au Mali n’ont pas permis de stabiliser une région sahélienne où les conflits ethniques, les insuffisances de l’Etat et la pauvreté ont fait le lit de groupes islamistes armés, eux-mêmes en lutte permanente. Selon l’ONU, leurs attaques ont causé plus de 4000 morts au Burkina Faso, au Mali et au Niger en 2019 – soit cinq fois plus qu’en 2016.

Malgré leurs ressources minières, les pays de la région croupissent tout en bas du classement de l’indice du développement humain, faute d’infrastructures sociales suffisantes, dans un contexte de forte pression démographique et climatique. Un enfant sur deux n’y va pas à l’école. Un sur deux vit sous le seuil de pauvreté.

Dans ce contexte, la stratégie essentiellement militaire choisie par la France et ses alliés est perdue d’avance. Un seul chiffre suffit à comprendre le cercle vicieux: entre 2010 et 2018, la part des dépenses militaires au budget du Mali est passée de 7% à 14% tandis que l’investissement dans la santé se maintenait autour de 5%. Sans que cet effort ne vienne améliorer la situation.

D’autant moins que les «dommages collatéraux», comme ceux dénoncés à Bounti, sont intrinsèques à ce type d’opération militaire hautement technologique, où les cibles sont définies à distance en temps réel sur la base d’observations aériennes. Dans une interview, le responsable des escadrons aériens au Sahel admettait récemment à demi-mots la difficulté, «face à un ennemi qui se fond dans la population», de «pouvoir déceler des signaux très faibles» qui conduisent «à déclarer la cible comme militaire». En 2015, le site d’information The Intercept estimait, sur la base de documents dérobés au Pentagone, que 90% des victimes des drones lors de l’opération Haymaker (Afghanistan) n’étaient pas souhaitées ! Des drames à répétition qui, du Pakistan au Mali, d’Irak en Somalie, viennent jeter de l’huile sur le feu et fabriquer sans fin de nouveaux combattants déterminés à venger les leurs de l’Occident.

Opinions International Édito Benito Perez Sahel

Autour de l'article

Connexion