Une campagne faussée
La campagne autour de l’initiative pour des multinationales responsables a été marquée par les déclarations de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter qui a prétendu que l’initiative instaurait un renversement du fardeau de la preuve.
Qu’est-ce que le fardeau de la preuve?
Si un maraîcher suisse (ou une communauté paysanne dans le tiers-monde) constate que ses cultures de légumes dépérissent en raison des épandages de pesticides de son voisin (ou de la multinationale voisine), il peut saisir la justice d’une demande d’indemnisation. Demandeur, supportant le fardeau de la preuve, il devra prouver deux choses: l’étendue de son dommage et la responsabilité de son voisin, c’est-à-dire la faute commise et le lien de causalité entre cette faute et le dommage survenu.
Si le maraîcher (ou la communauté paysanne) échoue dans cette double preuve, il perd son procès. Le juge ne demandera pas au voisin (ou à la multinationale voisine) de démontrer qu’il n’est pas fautif. Le procès s’arrête à ce stade. Ce n’est que si le maraîcher a prouvé son dommage et la responsabilité de son voisin, que le procès se poursuit et que ce dernier peut tenter de prouver qu’il n’y est pour rien. On ne parle pas de fardeau de la preuve pour le défendeur, mais de preuve libératoire.
Les auteurs de l’initiative, voulant une solution équilibrée, ont eu l’intelligence de qualifier la responsabilité des multinationales «d’obligation de diligence raisonnable». Il s’agit là d’une restriction, d’un allègement de la responsabilité des multinationales, si elles doivent, au deuxième stade d’un procès, tenter de se disculper, après que les demandeurs auront satisfait au fardeau de la preuve.
Or, c’est cette nuance, favorable aux multinationales, que Mme Keller-Sutter a transformée en prétendu renversement du fardeau de la preuve. Cette contre-vérité, ce mensonge, particulièrement choquant pour une conseillère fédérale, a faussé la campagne de l’initiative. Cette fake new, reprise autant que possible par tous les lobbyistes des multinationales, dont la conseillère nationale vaudoise Isabelle Chevalley en particulier, a certainement déstabilisé des dizaines de milliers de votants qui essayaient honnêtement d’évaluer les enjeux de cette initiative.
Comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le rappelle chaque année à la Suisse, sa démocratie est en partie pervertie par l’argent (absence de transparence et de règles sur le financement des campagnes et des partis). Elle l’est aussi quand ses élites, au plus haut niveau, mentent de manière éhontée.
Jean-Bernard Waeber est avocat, à Genève.