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La dernière colonie d’Afrique

«La longue marche des Sahraouis est loin d’être terminée.» Pour l’économiste Xavier Dupret, le conflit au Sahara occidental – où les hostilités entre le les indépendantistes du Front Polisario et le Maroc ont repris – s’ancre dans l’histoire des luttes pour la décolonisation, sur fond d’importants intérêts économiques. Eclairage.
Sahara occidental

La reprise des hostilités entre le Front Polisario et le Maroc ne fait guère l’objet d’analyses fouillées de ce côté de la Méditerranée. La chose est plutôt incompréhensible car le Sahara occidental est, fait notable, la dernière colonie d’Afrique.

Alors que Franco est mourant, l’Espagne rompt avec son passé colonial. A la mi-novembre 1975, les Accords de Madrid organisent le partage entre le Maroc et la Mauritanie du Sahara occidental, jusque-là colonie espagnole, au plus grand mépris du droit international. A la mi-octobre 1975, la Cour international de Justice avait, en effet, statué que le Sahara occidental constituait une entité indépendante à l’égard du Maroc et de la Mauritanie. Dès lors, selon la Cour, le principe d’autodétermination s’y appliquait.

A l’époque, la monarchie chérifienne fait face à une forte contestation interne. Pour mobiliser l’opinion publique, Hassan II ose un coup fumant: la Marche verte. Cette dernière a lieu le 6 novembre 1975 et consiste en un déplacement vers le Sahara occidental de 350’000 volontaires marocains, parmi lesquels 20’000 soldats. La dimension coloniale de cette aventure est évidente puisqu’elle fut organisée de concert avec les services secrets français. Alexandre de Marenches, directeur, à l’époque, du contre-espionnage français, était un proche d’Hassan II. S’ensuit un conflit armé entre la Mauritanie et le Maroc, d’une part, et le Front Polisario, d’autre part. En août 1979, la Mauritanie abandonne ses prétentions sur le Sahara occidental. Le Maroc s’empresse alors d’occuper la portion du territoire sahraoui cédée à la Mauritanie. En 1980, le pouvoir marocain érige un mur de défense de manière à sanctuariser le territoire qu’il a arraché (80% du Sahara occidental). Aujourd’hui encore, le Polisario occupe la partie orientale du Sahara occidental.

Un cessez-le-feu est conclu en 1991. A cette époque, l’ONU met sur pied une Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (la Minurso). Les initiatives visant à organiser un référendum se sont, depuis, heurtées au refus systématique de la part de Rabat de considérer l’indépendance du Sahara occidental comme une issue au conflit. Ce blocage explique pourquoi l’accord de cessez-le-feu a été rompu récemment. En l’espèce, le Maroc a agressé des militants indépendantistes sahraouis dans la zone tampon entre les deux forces belligérantes.

Il existe une autre caractéristique coloniale dans l’occupation de la terre des Sahraouis: la spoliation. Le Sahara occidental n’est pas un désert économique. Le phosphate y abonde. Or, la dépendance de l’Union européenne à l’égard de cette matière première, vitale pour la fabrication d’engrais, constitue une donnée structurelle. Les réserves finlandaises, les plus importantes d’Europe, ne représentent que 1,5% des réserves mondiales. C’est pourquoi la troisième liste des matières premières critiques dressée en 2017 par l’Union européenne reprend la roche de phosphate.

En outre, la pêche représente 70% de l’activité économique du Sahara occidental. Dans un contexte de baisse des ressources halieutiques en Europe, l’accord de libéralisation des produits agricoles et de la pêche conclu en 2012 entre l’Union européenne et le Maroc incluait, comme par hasard, le Sahara occidental dans son champ d’application. La Cour de Justice européenne fut saisie. Elle statua en 2018 que l’accord de 2012 enfreignait «plusieurs règles de droit international applicables dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc, notamment le principe d’autodétermination». En dépit de cet arrêt, un nouvel accord de pêche a été conclu entre l’UE et le Maroc pour une durée de quatre ans. Il s’applique à nouveau aux eaux adjacentes au Sahara occidental.

La longue marche des Sahraouis est loin d’être terminée. Le soutien inconditionnel qu’apporte la France au Maroc ne risque pas de diminuer à court terme. Rabat aura grand besoin d’exploiter les ressources du Sahara occidental à l’avenir. La dette extérieure marocaine représentait en 2019 (donc avant la crise de la Covid-19) 45% du PIB et 160% des exportations du pays. Ces données inquiètent les milieux financiers. L’agence d’évaluation financière Fitch Ratings a baissé, à la fin du mois d’octobre, la notation de la dette marocaine, aujourd’hui considérée comme un actif spéculatif. L’attrait pour le Sahara occidental va donc perdurer et la lutte du Polisario s’inscrit déjà dans la continuité des grands combats qui, de la guerre d’Algérie à la lutte contre l’apartheid, ont forgé l’histoire de l’Afrique…

Notre invité est économiste et vit à Bruxelles.

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