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Un drame de la Françafrique

Alors que la reprise des combats entre forces indépendantistes et armée marocaine semble s’intensifier, laissant craindre une déstabilisation de la région, la jeunesse sahraouie en exil «adhère pleinement aux revendications du Polisario», rapporte Xavier Dupret. A la racine de la crise, la «lourde responsabilité de l’Occident» – et en premier lieu celle de la France, soutien inconditionnel du Maroc.
Sahara occidental

L’auteur de ces lignes rentre d’une mission d’observation dans les camps de réfugiés sahraouis. Alors que sur le terrain les combats avaient repris, depuis près d’un an, entre les forces du Polisario et l’armée marocaine, le désir d’en découdre parmi la jeunesse sahraouie était palpable. La rupture du cessez-le-feu par le Polisario n’a d’ailleurs rien d’une décision hors-sol en rupture avec la réalité. Cela fait, en effet, trente ans qu’un processus de pacification censé déboucher sur un référendum d’autodétermination est enlisé et la présence des réfugié·es dans les camps dure depuis quarante-cinq ans. On ne cherchera pas plus loin les raisons de l’exaspération côté sahraoui.

Pendant ce temps, les Chancelleries européennes s’inquiètent d’une possible déstabilisation de la région. Une extension du conflit, impliquant l’armée algérienne, pourrait fragiliser les digues permettant de garder sous contrôle les vagues migratoires, d’une part, et la montée de la violence djihadiste, d’autre part. Ces craintes ne doivent en aucun cas masquer la lourde responsabilité de l’Occident.

Il suffit, à ce propos, de mettre en exergue les liens qui existent entre l’Elysée et la dynastie chérifienne et l’on comprendra vite à quel point un prisme néocolonial déforme la lecture que l’on se fait, de ce côté-ci de la Méditerranée, des enjeux relatifs à la question du Sahara occidental. Ainsi est-il de notoriété publique que lorsque l’idée d’un référendum d’autodétermination a été rejetée par Rabat en 2007, c’est parce que le plan d’autonomie mis en avant, à l’époque, par les autorités marocaines avait, en réalité, été concocté en France sous l’œil attentif du président Chirac.

L’histoire de la décolonisation dans la région explique largement ce tropisme pro-marocain. Alors que c’est un processus de négociation qui a mis fin, en 1956, au protectorat sur le Maroc, c’est au contraire par la lutte que le régime d’apartheid anti-arabe qui sévissait dans les «départements» de l’Algérie «française» a été aboli en 1962. La victoire du FLN, humiliante pour l’impérialisme français, a servi d’arrière-plan à un soutien aux projets du Grand Maroc. Voilà pourquoi dès après l’indépendance algérienne, la Guerre des sables a éclaté. Elle a duré de septembre 1963 à février 1964 à la suite d’une agression de la jeune république algérienne par l’armée marocaine. A l’époque, Rabat désirait annexer une partie de l’Algérie.

Le lien entre le projet du Grand Maroc et les intérêts géopolitiques de la Françafrique sont patents. C’est ainsi que le régime chérifien, bien que revendiquant, à l’origine, l’intégralité de la Mauritanie, n’a jamais agressé cette dernière et en a même reconnu l’existence sans faire trop de difficultés. Paris le voulait.

Et comme c’est en vertu de la politique de création d’un Grand Maroc que Rabat a envahi le Sahara occidental en 1975, on comprend mieux pourquoi le gouvernement algérien a soutenu le Polisario. Il n’en fallait pas plus pour que des campagnes soient orchestrées à partir de Paris afin de jeter, encore aujourd’hui, le discrédit sur les indépendantistes sahraouis.

Pour l’heure, la pression monte dans les camps. La jeunesse sahraouie, loin de se résigner à son exil, adhère pleinement aux revendications du Polisario. De ce point de vue, la nomination de Mohamed Wali Akeik, jusque-là premier ministre de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), comme chef d’état-major constitue un fait capital. Sous sa direction, les unités sahraouies devraient, selon toute vraisemblance, intensifier leurs opérations.

Alors que l’incendie, qui couvait déjà depuis belle lurette, vient de se déclarer, les Occidentaux, trop confiants, sans doute, dans l’expertise française, en sont encore à jouer la montre et leurs appels à «un compromis réaliste» légitiment de facto l’occupation marocaine. Si les choses finissent par tourner mal, la responsabilité de l’Occident, et de la France au premier chef, sera énorme…

Xavier Dupret est économiste, de Bruxelles, de retour des camps de refugiés de Tindouf (ouest algérien).

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