Pour des citoyens responsables
Pourquoi des milliers de personnes fuient-elles chaque année leurs pays alors qu’elles ne peuvent plus ignorer les épreuves qui les attendent? Vols, viols, passages à tabac, internements, humiliations, exclusions, vies clandestines la peur au ventre, ou retour au pays scotché sur son siège d’avion. Et je ne parle pas de celles et ceux qui meurent dans le désert avant de rejoindre les bords d’une méditerranée qui prendra, elle aussi, sa part de victimes.
Pourquoi ces guerres civiles dans lesquelles s’immiscent très vite les grandes puissances soucieuses de défendre leurs intérêts géostratégiques ? Quels sont ces intérêts pour être prêts à détruire un pays, à bombarder les populations, à les priver d’eau, d’électricité, d’hôpitaux, de denrées, de logements, et à les jeter sur les routes en quêtes d’asile? Des guerres sans fin, avec leur cortège de morts, d’estropiés, d’exilés. Bien sûr, la misère et la guerre sont deux produits à haute valeur ajoutée. Très lucratifs. La sagesse des nations veut qu’on les entretienne. Les ONG qui soutiennent l’initiative pour des multinationales responsables sont les mêmes qui nous envoient des appels à l’aide pour les populations en détresse, qui inondent nos boîtes aux lettres de petits bulletins roses. Où part cet argent, notre argent? Dans des pays riches, très riches, en ressources agricoles et minières, en main d’œuvre abondante et docile, tu trimes, ou tu crèves, ou tu rejoins des bandes armées qui testent ta détermination en te poussant au pire. Tu trimes et tu t’empoisonnes en empoisonnant tes terres, tes eaux et l’air que tu respires.
Des pays riches dont les gouvernements rackettent les grandes compagnies qui exploitent leurs ressources contre la présence d’un appareil répressif musclé, ce qui fait le bonheur des marchands d’armes. Des pays riches dont les membres du gouvernement ont des hôtels particuliers à Paris, des villas sur la Côte, des appartements luxueux à New York, Hongkong, Singapour, des écuries de voitures dont certaines ont des poignées en or massif et à côté de ce luxe ostentatoire, des mil-lions qui croupissent dans des comptes offshore. Des pays riches qui, avec la complicité des grandes compagnies et des pays où celles-ci ont leurs sièges, pays totalement acquis au monde ultra-libéral de la finance, maintiennent dans une misère crasse des millions de personnes.
Aujourd’hui, nous avons l’opportunité d’agir non plus en aval avec nos petits bulletins roses, mais en amont avec nos bulletins de vote. Nous ne risquons rien. Il serait naïf de croire que nous sommes bénéficiaires de la grande finance. Celle-ci encourage les délocalisations qui font bondir les actions, mais laissent des trous béants dans le tissu industriel et social des pays et mettent la pression sur tous les travailleurs justifiant des salaires qui au mieux stagnent, au pire vont vers la baisse. Celle-ci se moque des montagnes de déchets et de la pollution qu’elle génère. C’est elle aussi qui profite des flux migratoires, tout en nous en faisant payer les coûts. Cette économie qui mène le monde est une économie déconnectée du réel. C’est pour cela qu’elle est si assassine. Elle tue sans scrupule, les yeux tournés vers ses chiffres. En cessant de croire que nos vies dépendent d’elle, en reprenant nos vies en main, nous pouvons faire disparaître son mirage.
Avant que nécessité ne fasse loi, car nécessité finit toujours par faire loi, ne voulons-nous pas la devancer? Lui dire, Ok, on a compris, on va corriger, pas besoin de tout détruire, pas de déluge s’il te plaît, de tsunami, de collapsus. Laisse-nous poser les bases d’une nouvelle construction, qui poussera doucement dehors l’ancienne en la désarmant. C’est ce que la petite démocratie suisse, aussi libérale soit-elle, nous permettrait de faire entendre si nous votons en tant que citoyens du monde, citoyens responsables, et non en tant que sujets dociles de nos autorités
Patrizia Kohler, Grandson (VD)