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De vulgaires prétextes

«On ne peut évoquer des difficultés d’ordre technique pour tolérer des crimes contre l’humanité.» Carlo Baumgartner condamne les objections émises par les opposants à l’initiative «multinationales responsables» en votation le 29 novembre.
Multinationales

Le Conseil fédéral et, d’une manière générale, les opposants à l’initiative pour des multinationales responsables affirment qu’ils sont en faveur des droits humains et pour la préservation de l’environnement. Mais à peine se sont-ils déclarés en faveur de ces principes fondamentaux qu’ils émettent des objections concernant la mise en œuvre de ces principes. Toujours la même rengaine: nous sommes d’accord avec ces principes, mais les initiants ont choisi une mauvaise voie pour y parvenir.

Cependant, là où les opposants font fausse route, c’est qu’on ne peut pas combattre un principe fondamental juste ou perçu comme désirable en faisant valoir des difficultés dans la réalisation de ce principe. Un principe fondamental est juste ou non, indépendamment des difficultés de sa mise en œuvre. L’exploitation des enfants, l’empoisonnement des êtres, les destructions de l’environnement doivent toujours être combattus! Tel est le but de l’initiative.

On ne peut donc pas évoquer des difficultés d’ordre technique pour tolérer des crimes contre l’humanité, pour ne pas combattre la destruction souvent systématique de la nature. Toutes sortes de difficultés exprimées par les opposants lors de cette campagne ne sont que de vulgaires prétextes pour éviter que des mesures soient prises afin de contraindre certaines multinationales à respecter des droits fondamentaux. On peut d’ailleurs se demander quel jeu joue le Conseil fédéral en défendant aveuglément les multinationales. N’aurait-il pas mieux à faire par les temps qui courent?

Pourquoi ne pas imaginer que les associations économiques, pourtant si bien organisées au niveau international, préconisent elles-mêmes des standards contraignants pour la conduite des entreprises responsables, au lieu de combattre à coup de millions toute initiative impliquant un pas concret dans la bonne direction? Le principe éthique voudrait que l’économie privée, afin de s’épargner des dépenses liées à la pratique d’une concurrence déloyale, adopte une responsabilité d’ordre politique, ce qui lui permettrait de défendre ses propres intérêts. En effet, aucune entreprise responsable envers l’homme et la nature ne souhaite être évincée du marché par des concurrents qui ne respecteraient pas de tels droits fondamentaux.

Contrairement à ce qu’affirment les opposants, les moyens que prévoit l’initiative pour sa mise en œuvre sont réalistes, même si le chemin pour y parvenir sera exigeant. Le devoir de vigilance – un des points centraux de l’initiative, par exemple – concernant les droits humains et, par analogie, les standards environnementaux représente l’essence des principes de l’ONU décidés en 2011. Ces standards sont au cœur même de l’initiative. Ils incluent toutes les relations d’affaire de la multinationale.

Ce que veut l’initiative est légitime. Elle veut que seules les multinationales (les Glencore, Sygenta, Lafarge Holcim, Vitol et autres) cessent de violer les droits humains, de détruire la nature et d’empoisonner les êtres et qu’elles répondent, si nécessaire, du dommage causé devant un tribunal suisse indépendant.

Le contreprojet est un tigre en papier glacé. Abstraction faite du travail des enfants, la multinationale coupable ne risque rien en pondant un texte lénifiant et en se disculpant elle-même, comme elle l’a toujours fait jusqu’à maintenant. Demande-t-on à un criminel de se justifier sur papier pour éviter la condamnation? Les crimes de Glencore qui empoisonne toute une ville au Pérou, par exemple, ont pourtant une tout autre dimension!

Ce que l’initiative demande est déjà possible dans d’autres pays, contrairement à ce qu’affirme la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter. Toute multinationale responsable qui ferait acte de vigilance n’aurait rien à craindre! Au contraire, elle profiterait de la bonne réputation enfin retrouvée des multinationales ayant leur siège en Suisse, ce qui lui offrirait, de surcroît, certains avantages concurrentiels.

Notre invité vient de Meyrin (GE).
Note de l’auteur: Le quotidien en ligne alémanique Republik et, en particulier, une contribution de Peter Ulrich, professeur d’économie éthique de l’université de St-Gall, m’ont inspiré lors de ma rédaction.

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