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Betteraves et pucerons

Carnets paysans

L’Assemblée nationale française, au début de cette semaine, s’est prononcée en faveur du retour des néonicotinoïdes, les pesticides qui jouent un rôle déterminant dans la disparition des abeilles.

Ces pesticides protègent la betterave de l’attaque d’un puceron. Celui-ci transmet à la plante une maladie qui entraîne le dépérissement des feuilles et donc l’interruption de la croissance de la racine. Dans le cas de la betterave, les néonicotinoïdes se présentent sous la forme d’un enrobage de la semence. Ils ont été interdits, en France, en 2016, devant l’avalanche de preuves de leur dangerosité pour les abeilles.

La décision de l’Assemblée nationale intervient après une campagne de désinformation extrêmement virulente menée par la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), un syndicat agricole français membre de la très puissante Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA). L’objectif de cette campagne va bien au-delà de la réintroduction d’un produit chimique dangereux. Il s’agit de dresser un écran de fumée sur les conséquences des politiques néolibérales sur le marché mondial du sucre.

L’Organisation commune des marchés (OCM), un dispositif de la Politique agricole commune (PAC), a imposé en 2006 une restructuration majeure de la filière sucrière française. Onze ans plus tard, il a été mis fin au régime des quotas qui permettait de réguler la production ainsi qu’au prix minimal garanti de la betterave. Ces deux décisions, dont l’objectif est d’accroître la concurrence entre producteurs et de mondialiser le marché du sucre, ont entraîné une concentration dans l’industrie de transformation et une chute des prix aux producteurs.

Depuis trois ans, les usines de transformation de sucre ferment en France pour le plus grand profit de pseudo coopératives agricoles qui jouent à fond la carte de la concurrence mondiale. Ainsi Tereos, une holding coopérative française, qui est à la fois le premier sucrier français, le deuxième sur le plan mondial et le troisième au Brésil. Créé en 2002, sur la base de l’infrastructure industrielle du groupe Béghin-Say, Tereos étend ses activités dans le monde entier depuis 2006. Cette holding coopérative organise désormais la surproduction de sucre sur le plan mondial pour justifier des fermetures d’usines et des prix de la matière première toujours plus bas.

Comme le relève à juste titre la Confédération paysanne, les difficultés des betteraviers français viennent beaucoup plus du comportement rapace d’acteurs comme Tereos que des baisses de rendement occasionnées par les pucerons et le changement climatique. La réintroduction de produits chimiques dangereux n’aura aucun effet sur cette situation économique, si ce n’est éventuellement accroître encore la crise de surproduction.

Les grands syndicats agricoles, main dans la main avec les holdings coopératifs, ont accompagné la politique de dérégulation des marchés. Par leur faute, nous sommes aujourd’hui privés d’outils pour contrôler et réguler les prix et la provenance des matières premières. Devant le désastre économique et social que cette dérégulation provoque, ses responsables n’ont pas d’autre choix que de désigner de fausses causes. C’est ce qu’ils ont fait tout l’été en organisant des conférences de presse devant des champs jaunis et en mettant en scène la détresse de productrices et de producteurs. C’est ce qu’ils font encore en mettant en doute la véracité du danger des néonicotinoïdes pour les abeilles et l’environnement en général. C’est ce qu’ils font enfin en construisant de fausses alternatives. Nous n’avons pas, en effet, à choisir entre l’emploi de produits dangereux et l’autonomie de notre approvisionnement alimentaire: l’écologie ne s’oppose pas à l’autonomie alimentaire, elle en est, au contraire, la condition de possibilité.

En Suisse, le parlement est désormais saisi d’une demande de réintroduction des néonicotinoïdes et il n’est pas impossible qu’on assiste prochainement à une campagne de désinformation de même nature que celle organisée cet été chez nos voisins français. Je reviendrai le mois prochain sur les relais journalistiques de ces campagnes qui, en France du moins, se croisent volontiers avec ceux du climato-­négationnisme.

Notre chroniqueur est observateur du monde agricole.

Opinions Chroniques Frédéric Deshusses

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mercredi 9 octobre 2019

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