On nous écrit

Drôle de temps

Léon Meynet s’inquiète de la présence de plus en plus importante de l’intelligence artificielle dans nos vies.
Société

De plus en plus Google et ses divers services de messageries grignotent nos vies sans que nous nous en rendions compte ou si peu. Leur dernière trouvaille, dont personne ne parle au niveau de leurs messageries outlook et consorts, consiste à améliorer nos compétences orthographiques. Ça a l’air sympa et un service de plus comme Uber, Trip advisor, Netflix, Just eat, Translate, Adobe creative cloud, Zoom, dont nous profitons candidement. Mais derrière cette façade innocente et pratique se développe un étrange accaparement de nos initiatives, de nos savoirs et de nos compétences. Plus besoin de se prendre le chou pour trouver un hôtel à Paris, Berlin ou Londres; plus besoin de sortir pour aller au ciné, au théâtre, au concert; plus besoin d’aller au resto pour déguster nos sushis préférés; plus besoin de recourir à un traducteur pour rédiger une lettre dans une langue étrangère; plus besoin d’attendre pour recevoir le dernier livre, le CD ou le gadget branché de nos envies.

L’intelligence artificielle (I.A.) fait presque tout à notre place et répond dans l’immédiat à nos désirs.

Aujourd’hui un pas de plus est franchi avec l’amélioration fine de nos fautes d’accords, de syntaxe, d’espacement dans les messageries de nos services. Non seulement ils soulignent depuis plusieurs années en rouge les fautes les plus criardes, potentielles ou avérées, mais maintenant ils ajoutent une pointe de bleu aux tournures de phrases, aux conjugaisons, à l’usage de la négation et aux accords douteux. Il suffit quasi automatiquement de les introduire en cliquant sur le bouton gauche de la souris et les mots, les erreurs diverses sont instantanément remplacés. Plus besoin de penser, de réfléchir, de relire, de corriger, tout est prémâché, prêt à l’expédition numérique. Fini le temps du peaufinage de la rédaction, de la recherche dans le dictionnaire et les encyclopédies, de l’attention aux formes, de la recherche des homonymes, synonymes, antonymes, paronymes. La machine pense et agit pour nous. Plus besoin de se casser la tête à réfléchir, le système vous crache vos intentions. Autrement dit, il nous prive de (presque) toutes nos capacités à interroger, à ciseler, à approfondir, à juger, à supputer. A quoi bon cette perte de temps après tout, il y a des formules toutes faites pour trouver la bonne réponse, pour cracher la lettre de votre choix avec les mots clefs correspondants.

Mais attention, à cette vitesse nous allons vite être démunis de nos savoirs, de nos intelligences, de nos interrogations. Ils sont tous dans la machine quelque part à la Silicon Valley. Oui, car c’est là-bas que toute l’intelligence du monde, tous les écrits, toutes les mémoires bibliothécaires sont cumulées depuis quelque 30 ans. Et, plus récemment, que tous nos souhaits, toutes nos intentions, tous nos comportements sont emmagasinés pour cerner le consommateur/la consommatrice que nous devons être. Nous n’avons que cela à faire: ne pas réfléchir, juste consommer pour que le système se reproduise indéfiniment à sa vitesse de croisière. Nous sommes de plus en plus prédictibles, suivis, décryptés et nous nous laissons berner par les paillettes de ces facilités technologiques.

L’ère des robots a bel et bien commencé, mais il ne faut pas s’y tromper ils sont humains – c’est vous, c’est moi, c’est nous – faits d’os, de chair, de sang, d’organes, de muscles, et le seront encore plus avec la prochaine généralisation du transhumanisme pour que les cerveaux d’intelligence artificielle du monde puisse exercer tous leurs pouvoirs. Il leur suffira alors d’activer le moteur mobilité pour que tout fonctionne au quart de tour sans heurt et sans contestation.

Drôle de temps où l’ère de la smart city est venue et, avec l’escalade de la 5G, nous lui tendons les bras béatement!

Léon Meynet,
Genève

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