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Vers une émancipation des subjectivités

Déplorant l’«inertie» en cours face aux enjeux environnementaux, Miguel D. Norambuena appelle à «des bifurcations créatives, concrètes et innovantes».
Société

Depuis toujours, ou plutôt depuis que le cartésianisme fait foi en Occident (René Descartes 1596-1650), nous vivons, sentons et pensons sous l’égide d’une représentation matricielle bien connue: «Je pense donc je suis.»

Ainsi, nous croyons et faisons croire que penser est une condition suffisante pour exister. Et ce, comme si nous existions dans la plus joyeuse autarcie, isolés de toute contamination et responsabilité contingente environnementale. Dès lors et depuis plus de quatre cent ans, nous cultivons une cécité voire un autisme vis-à-vis de ce qui nous entoure et nous fait vivre.

Pourtant et à titre d’exemple, l’air que nous respirons dans nos villes serait de plus en plus contaminé par les particules fines, potentielles cause de certains cancers. Nous pouvons aussi citer l’eau que nous buvons qui serait aussi contaminée par les nitrates et phosphates, micro et nanoplastiques, métaux lourds ou la terre par des produits comme la soude caustique, l’acide sulfurique et chlorhydrique. Cette liste n’est pas exhaustive. Tout ceci croît, porté par notre presque décontractée insouciance à mesure de la disparition exponentielle de la faune et flore sauvage.

Cette réalité est pourtant chose sue: nous n’avons jamais eu autant de recherches scientifiques publiées ou de débats présentés au grand public. Comment se fait-il que, malgré toutes ces informations et dénonciations associatives, nous persévérons à empoisonner la terre, la planète et nos modes de vie? Loin de prétendre trouver l’étiologie de cette inertie, voire pulsion de mort inconsciente, l’hypothèse d’un asservissement sociétal et civilisationnel progressif est à retenir. Cette hypothèse se construit autour de deux notions phares: la représentation et l’habitude.

La représentation est un corpus d’idées fabriqué culturellement qui définit ceci ou cela comme représentant telle ou telle chose ou situation. A partir de ce régime culturel des signes normatifs communs, chacun·e reproduit et fabrique «ses» croyances. Par exemple, en ville de Genève, le «tout béton-goudron» est un outil nécessaire pour mieux accroître la vitesse et la commodité véhiculaire. Cette représentation s’est créée et figée sans critique des conséquences de ce mode de vie sur l’environnement et l’évolution de la santé de chacun·e. L’habitude alors entre en jeu, car les représentations établies deviennent ensuite habitus, et, lentement mais sûrement, la terre se retrouve recouverte du «tout béton-goudron».

Il nous faut alors sérieusement questionner ces régimes de représentations courantes devenues habituelles, si nous voulons nous émanciper de la dématérialisation exponentielle des liens humains et non humains dans laquelle nous nous trouvons prisonniers. Pouvoir infléchir ses habitudes et représentations normopathiques passe par la création de nouveaux modes de saisie, de sentir; des nouveaux modes d’expression et d’action sociale. L’urgence est aux nouvelles manières de penser la différence, de voir, d’entendre ainsi que de vivre au quotidien.

La publicité, le marketing, les réclames, les GAFAM nous devancent dans ce sens à chaque instant de mille lieues. Il sera à chacun·e de créer, au cœur même de ses habitudes, et désirs des embranchements et des bifurcations créatives, concrètes et innovantes sinon inédites. Avec Spinoza, disons que c’est la seule manière de chasser les «passions tristes» et le manque d’agir qui enveloppent nos existences. Nous pourrons ainsi nous émerveiller avec soin, complicité et responsabilité face à la beauté du monde et à la polyphonie de ses diversités humaines et non humaines.

* Consultant psychosocial indépendant, Genève.

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