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Une histoire du management des nazis à aujourd’hui

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Quelques semaines après la rentrée et le retour au travail, j’ai le plaisir de vous présenter un livre passionnant qui revient sur l’histoire du management sous le nazisme et de son héritage dans l’après-guerre. Dans Libres d’obéir1>Johann Chapoutot, Libres d’obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui, Paris, nrf essais, 2020, 169 p., l’historien Johann Chapoutot retrace le parcours du juriste Reinhard Höhn, brillant fonctionnaire de la SS et créateur après la guerre de l’institut de management de Bad Harzburg, où ont été formés des centaines de milliers de patrons et de cadres de l’Allemagne de l’Ouest. Aldi, BMW, Bayer, Esso, Krupp, Thyssen, Opel, Ford, Colgate, Hewlett-Packard… 2500 entreprises ont envoyé leurs responsables dans cette académie.

Les nazis n’ont pas inventé le management, mais ont passablement enrichi la Menschenführung, la gestion des ressources humaines, soit du matériau humain, selon une doctrine qui considère les individus comme une ressource ou un facteur de production. Plus le territoire sur lequel ils étendaient leur emprise s’élargissait, plus les nazis avaient besoin de trouver une manière optimale d’organiser l’économie et la gestion des administrations avec le moins de personnel possible. «L’individu germanique devient un outil, un matériau (Menschen-material) et un facteur – facteur de production, de croissance, de prospérité.», (pp. 65-66). En contrepartie, l’ouvrier reçoit des gratifications. Il est d’autant plus motivé que l’ascension sociale est possible, puisque son statut n’est plus censé dépendre de sa naissance. Comme Hitler, la volonté peut faire d’un homme d’origine modeste un nouveau chef, si sa contribution est remarquable. Connu pour sa brutalité, le régime nazi offrait pourtant de belles opportunités à celles et ceux qui remplissaient les critères de la Volksgemeinschaft. Le management sert alors aussi à motiver et à créer une «communauté productive» qui oblitère l’idée même de lutte des classes.

Les nazis étaient aussi convaincus que l’Etat avait étouffé la liberté germanique et devait donc disparaître. Les fonctionnaires auraient détruit le génie des héros allemands par leurs oppositions absurdes en suivant de trop près les lois et les règlements. Le Führer incarnait à ce titre la volonté du peuple allemand parce qu’il avait su comprendre les lois de la nature. Le Reich a remplacé des pans de l’Etat par des agences en concurrence les unes avec les autres. Seul Hitler pouvait trancher entre elles, ce qui renforçait encore son pouvoir. On était bien loin de l’idée d’une administration bien ordonnée.

Après la guerre, Reinhard Höhn et d’autres anciens nazis ont opéré une réintégration tout à fait réussie en Allemagne de l’Ouest et ont prêté leur concours au «miracle économique allemand». Höhn a alors puisé dans le répertoire militaire du XIXe siècle l’Auftragstaktik (littéralement: la tactique par la mission ou l’objectif) qui consistait à fixer un but tout en laissant à l’officier le soin de trouver le moyen d’y parvenir. L’échec n’incombait ainsi pas à l’impossibilité la mission, mais à l’incapacité de l’exécutant. Il donnait aussi l’impression d’une cogestion, d’une liberté d’exécution tout à fait illusoire dès lors qu’il n’y a pas de participation à la fixation des objectifs. Chapoutot écrit: «La grande force de Reinhard Höhn fut de proposer un modèle de management qui semblait l’expression idoine de la nouvelle culture démocratique – ‘le management par délégation de responsabilité’.», (p. 106).

Le passé a finalement rattrapé l’ancien nazi dans les années 1970, alors que son modèle est en déclin, remplacé par le «management par objectifs», version moins bureaucratique, moins procédurière et plus libérale d’un modèle relativement semblable. Car ce n’est pas l’orientation idéologique de la méthode de Höhn qui pose problème, celle-ci se révèle tout à fait compatible avec l’ordo-libéralisme et son désir d’abolir la lutte des classes tout en donnant l’illusion d’une liberté.

Selon l’auteur, la société contemporaine est à la fois très proche et très éloignée des nazis. Lointains par leur crime, leur vision du monde et leur racisme, ils avaient un discours sur l’action qui résonne étrangement avec les injonctions du management actuel où il est question de «performances», «de prendre des décisions rapidement», «sans s’embarrasser de scrupules bureaucratiques», «faire mieux avec moins». Le mal-être, la dépression, le burnout trouvent leur origine dans un management qui contraint le personnel à atteindre des objectifs sans lui en donner les moyens, tout en le soumettant à une critique et une surveillance serrée. Un modèle «[…] aussi pervers qu’un (ancien) nazi célébrant la liberté.» (p. 137).

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Notre chroniqueuse est historienne.

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lundi 15 janvier 2018

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