Salaire minimum: l’indécence a des limites
Faut-il encore argumenter sur le salaire minimum face à la faiblesse du discours patronal et de ses représentants politiques? Visiblement. A deux semaines du vote des Genevois-es sur le sujet, le bon sens ne semble pas devoir l’emporter, bien au contraire. Comme si la situation économique née de l’épidémie du Covid-19 ne nécessitait pas de répondre à la question vitale des bas salaires, mais d’ergoter sans fin sur les capacités des entreprises à rémunérer correctement celles et ceux qui les font vivre.
L’initiative syndicale vise à instaurer un taux plancher de 23 francs de l’heure, soit un peu plus de 4000 francs mensuels pour un plein temps, sur le modèle de ce qui existe déjà dans les cantons – bien moins fortunés – de Neuchâtel, Jura et Tessin. Le Conseil d’Etat genevois n’a rien trouvé de mieux que d’agiter un supposé salaire minimum «le plus élevé du monde», lui dont les membres se font rétribuer par les contribuables cinq à six fois ce montant tous les mois. Au bout du lac, il y a une expression consacrée pour cela: «foutage de gueule».
Sur le fond, les opposants au salaire minimum ont été incapables jusqu’ici de sortir une seule étude prouvant que l’introduction d’un salaire minimum entraînait un nivellement des salaires vers le bas, ni en France ni en Allemagne ni nulle part ailleurs. Pas plus qu’ils ne parviennent à articuler le nom d’une entreprise ou d’un secteur qui risquerait de mettre la clé sous la porte en cas de mise en œuvre d’une telle rémunération plancher. L’initiative elle-même prévoit d’ailleurs des dérogations, pour l’agriculture notamment.
Et quand bien même, rien ne justifie de maintenir 20’000 à 30’000 travailleurs, en majorité des travailleuses, dans la précarité, maintenant, et plus tard, au moment de la retraite. D’obliger ces familles à vivre sans: sans sorties, sans loisirs, sans vacances, sans ces petits plaisirs qui font que la vie est plus belle. De les forcer à quémander un complément de revenu à l’assistance sociale, alors qu’ils travaillent à temps complet. Ce qui revient à accepter que l’Etat subventionne les sociétés concernées, l’humiliation en plus.
Quant à l’argument visant à déléguer la responsabilité des négociations salariales aux partenaires sociaux, il a bon dos. Pour négocier, il faut être deux. Or à Genève, la moitié des salariés seulement sont soumis à une convention collective de travail. Bien souvent avec des minimums prévus pour tout le pays, quand le coût de la vie y est bien plus élevé.
Selon Credit Suisse, parmi les dix pays qui disposent depuis longtemps de données sur la répartition des richesses, seule la Suisse, ses 810’000 millionnaires et son nombre record de Ferrari par habitant, n’a pas enregistré de réduction notable des inégalités au cours du siècle dernier. Et à Genève, plus que dans tous les autres cantons. Le 27 septembre, nous saurons si une majorité de votants peuvent encore se targuer d’humanité ou si l’égoïsme a si bien fait son œuvre que c’est dans la rue que les plus pauvres devront faire valoir leurs exigences.