Chroniques

Après le confinement, le réduit national

Transitions

Partout, sur les murs, dans les gares, l’UDC nous met sous les yeux les grosses fesses d’un supposé migrant, portant ceinture aux couleurs de l’Union européenne, écrasant de son postérieur notre pauvre petite Suisse. C’est dire à quel niveau ce parti situe sa campagne en vue de la votation du 27 septembre sur la libre circulation des personnes! Notez que l’image pourrait tout aussi bien représenter les fesses d’un gros lourdaud bien de chez nous, ceinture décorée d’edelweiss, solidement installé devant la porte du réduit national. Oui, c’est bien à la réclusion que ce parti voudrait nous condamner: on ferme, on se drape dans une souveraineté autosatisfaite, on pratique l’entre-soi «pour la préservation de nos bonnes mœurs, des traditions et de la sécurité», comme il le proclame. A noter que dans l’argumentaire des populistes, la libre circulation des personnes ne fonctionne que dans un sens, celui de l’invasion. Que près d’un demi-million d’Helvètes vivent dans l’espace européen, que des milliers d’étudiants y fréquentent des universités, que la liberté de voyager enrichisse notre culture, cela ne semble pas les intéresser.

J’avoue qu’en lisant la prose dont les blochériens nous abreuvent, j’ai ressenti un léger frémissement d’empathie me parcourir l’échine, tant ils se montrent sensibles au malheur qui nous accable: une «apocalypse au ralenti», rien de moins. Bétonnage, criminalité, misère, chômage, telles sont les prémices d’un prochain effondrement. Démesure? Limitation? Ce sont des mots que je reconnais comme miens. De plus, le corpulent tout-ménage reçu la semaine dernière se termine par un slogan qu’aucun adepte de la décroissance ne renierait: «Moins, c’est mieux!» Il est temps de «recentrer le débat sur l’humain», lance la présidente des femmes UDC. S’y ajoute un vibrant plaidoyer en faveur de la nature et des terres agricoles, menacées par les constructions.

L’UDC, humaniste et écolo? Quelle mascarade! Pense-t-elle gagner en agitant des leurres devant le bon peuple, que la crise du corona a rendu réceptif aux promesses de sécurité et de prospérité? Il suffit de se plonger dans les procès-verbaux des Chambres fédérales pour mesurer l’abîme qui sépare le boniment opportuniste des positions défendues dans l’arène politique. Protéger «nos» salariés? Voyez les infirmières et infirmiers suisses, dont des milliers de frontaliers (pourtant applaudis par la population) prennent la place. Sachant que près de la moitié d’entre elles et eux quittent prématurément la profession pour cause de bas salaires et de mauvaises conditions de travail, le souci de l’humain aurait pour le moins exigé un soutien à l’initiative dite «pour des soins infirmiers forts», débattue au Conseil national en décembre dernier. Hors de question! Revaloriser la profession ferait exploser les primes d’assurance, et ce travail de soins peut être opportunément refilé à des requérants d’asile en phase d’intégration (je n’invente rien)! Même refus d’entrer en matière sur toute limitation dans la construction de résidences secondaires (2009), sur l’aménagement du territoire (2011), sur des mesures de lutte contre le mitage et pour la préservation des terres agricoles (2018), au nom de la protection de la propriété privée et du nécessaire développement économique. Si l’on étouffe dans ce pays, est-ce à cause de l’immigration? Non! c’est le résultat d’une politique systématiquement défavorable aux salariés. Pour l’UDC, s’il faut les protéger, c’est contre les étrangers, pas contre les patrons qui les exploitent.

Il n’y a pas que les votes au parlement qui mettent en lumière les incohérences de ce parti. Les flux financiers sont révélateurs eux aussi. Alors que Christoph Blocher défraie la chronique en exigeant une rente rétroactive de 2,77 millions, prétendument pour punir le gouvernement de ses gaspillages, l’UDC genevoise (avec le MCG), lance un referendum contre l’octroi d’une indemnisation de 15 millions pour les laissés pour compte de la crise du Covid, dont les files d’attente pour un sac de nourriture ont plongé la population dans la sidération. Le 27 septembre, suivant les mots d’ordre de leur mentor, les blochériens accepteront de gaspiller 6 milliards pour acheter des nouveaux avions de combat, accorderont aux familles les plus aisées des déductions fiscales et refuseront un congé paternité qui coûterait trop cher aux entreprises. Ils accepteront aussi la révision de la loi sur la chasse: qu’il s’agisse de migrants ou d’animaux sauvages, «trop c’est trop!», il faut écarter les nuisibles! De façon générale, cela ne me déplairait pas qu’on remette les humains, avec le loup, le castor ou le lynx, à leur juste place dans la nature, aux côtés des autres espèces vivantes méritant respect et protection. Hélas, ici, cela ne concerne que les étrangers. Sans respect ni protection!

Notre chroniqueuse est ancienne conseillère nationale.
Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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