Suisse

Les syndicats refusent la «jungle»

Au sein des syndicats suisses, le non à l’initiative dite de limitation l’emporte sans aucun doute possible. Mais les stratégies divergent pour s’adresser efficacement à leur base.
Les syndicats refusent la «jungle»
Le destin des accords bilatéraux conclus en 2004 se joue le 27 septembre. KEYSTONE
Libre circulation

La guerre des images fait rage avant la votation du 27 septembre sur l’initiative UDC – dite de limitation – qui vise à supprimer le principe de libre circulation avec l’Union européenne (UE). Le parti agrarien a choisi un pesant séant aux couleurs de l’Europe qui écrase la Confédération. A l’appui, une rhétorique axée sur la «main d’œuvre indigène»: «Nous sommes envahis par des dizaines de milliers de travailleurs bon marché de l’UE. Conséquences: dumping salarial, de plus en plus de pauvreté, sous-emploi et éviction des salariés âgés de leurs places de travail par une main-d’œuvre bon marché originaire de l’UE», assène le nouveau président de l’UDC, Marco Chiesa.

> Lire notre édito: Dire non et mettre la pression

Côté syndical, on trouve pour Unia une silhouette aux poches vides sur la thématique «salaire, droits, travail: tout perdre? Non!» et une scène de crime pour l’Union syndicale suisse (USS): en guise de victime, une carte de la Suisse sous la mention «attention, danger au travail», avec un casque de chantier et un clavier à terre pour preuves.

Les salarié-es ayant le droit de vote en Suisse représentent donc le cœur de cible de cette communication. Dans le milieu syndical, les stratégies s’annoncent plus ou moins audacieuses afin de s’adresser au mieux à un électorat exposé aux pressions du marché, d’autant plus forte que la crise du Coronavirus a fragilisé le tissu économique déjà mis à mal par les externalisations, délocalisations et uberisation. Pour débattre des différentes approches qui, toutes, prônent le «non», Le Courrier a interrogé Joël Varone, secrétaire de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) et Pierre-Yves Maillard, président de l’USS.

Moins de précarité

«On connaît les difficultés du marché. Mais la solution de l’UDC aggraverait l’ensemble des problèmes, déclare Pierre-Yves Maillard. Cela mettrait en cause les mesures d’accompagnement (dont des inspections du travail renforcées, ndlr) et affaiblirait les conventions collectives de travail (CCT) qui règlent salaires, droits aux vacances, etc. Et de rappeler que l’horlogerie n’a pas attendu la libre circulation, appliquée dès 2002, pour se confronter à la question frontalière. «Au temps des contingents, la précarité de l’emploi était telle que les travailleurs n’osaient pas se défendre. Les combats syndicaux se poursuivent, mais grâce aux mesures d’accompagnement, nous avons atteint le nombre de 2 millions de salarié-es protégés par des contrats collectifs, soit 50% de plus qu’avant les bilatérales.»

Suffisant pour faire avancer le camp du non? Pas aux yeux de Joël Varone. «Les travailleurs ne sont pas dupes. Dire qu’on a un bon système en comparaison européenne ne veut pas dire grand chose si la précarité de l’emploi progresse. Le salaire médian a reculé entre 2016 et 2018 à Genève.»

Le syndicaliste genevois est ferme quant aux avancées sociales nécessaires pour ne plus donner prise à un discours anxiogène sur les étrangers: salaire minimum (d’ailleurs soumis au vote au bout du lac), protection contre le licenciement sans motif valable et droits égaux sans distinction de nationalité.

Discours inaudible

«Sans quoi nous cautionnons une jungle où l’on joue les uns contre les autres. Quand on dit ‘vous risquez de tout perdre’, certains se demandent: ‘mais perdre quoi?’ Ce discours est inaudible face à la banalité du licenciement qui a explosé depuis les années 1990. Sous cette pression constante, les collègues ou les personnes extérieures sont perçus comme une menace… C’est à ça qu’il faut répondre.»

Il rappelle que, dans le canton de Genève, on compte un peu plus de 17 000 personnes en recherche d’emploi pour 150’000 travailleurs et travailleuses qui franchissent quotidiennement la frontière: frontaliers, pendulaires vaudois, Suisses établis en France. «Le calcul est vite fait: il est faux de prétendre résoudre le problème du chômage en fermant les frontières. Nous avons besoin de ces travailleurs.»

Les syndicats ont-ils mal abordé le virage de la libre circulation, n’auraient-ils pas pu obtenir des avancées sociales significatives en prévision du vote du 27 septembre? Joël Varone le craint. «Les élites politiques et économiques savent qu’elles n’ont pas de majorité face à l’UDC additionnée à la gauche et au mouvement syndical. Les travailleurs et travailleuses ne gagnent rien à se diviser, raison pour laquelle il faut nous battre tant pour la libre circulation garantissant des droits égaux que pour le renforcement des mesures d’accompagnement garantissant des protections égales. Encore faut-il reconnaître que les progressions sont insuffisantes… Et avancer des revendications.»

Préretraite garantie

Parmi les outils de défense, note Pierre-Yves Maillard, l’instauration récente d’une rente-pont pour les chômeur-euses de plus de 60 ans, qui devient une forme de retraite anticipée. Elle se monte à 3700 francs pour une personne seule et 5700 francs pour un couple et concernera 3400 personnes en Suisse. Elle se veut une réponse directe à l’initiative de limitation. «Nous avons négocié pour obtenir une sécurité garantissant que, si on est licencié après 58 ans, on puisse bénéficier d’une rente digne après le chômage pour ne pas aller à l’aide sociale. En 2014 (sur l’initiative «contre l’immigration de masse», ndlr), toute avancée avait été refusée; cela avait abouti à l’acceptation du texte de l’UDC. Cette fois, nous avons obtenu une avancée et nous nous montrons loyaux en négociation. Si le non l’emporte, ce sera parce que les syndicats ont fait la différence. Et cette rente-pont permettra, après 58 ans, de ne pas se retrouver à l’aide sociale.»

Le conseiller national vaudois, ex-conseiller d’Etat, admet que cette rente «ne suffit pas». «Je ne mesure jamais à l’idéal mais aux progrès. Les choses s’améliorent petit à petit: du temps où j’étais à la FTMH (Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie), les licenciements collectifs ne s’accompagnaient pas légalement de plans sociaux comme aujourd’hui. Le nombre de salariés couverts par une CCT avec des salaires minimaux a augmenté. Globalement, le système fonctionne mieux. Et si les entreprises ne peuvent plus se tourner vers le marché européen car nos accords tombent, le risque est immense qu’elles investissent ailleurs. Or les ouvriers de l’exportation savent ce que signifie une entreprise qui n’entretient plus l’outil de travail.»

Deux initiatives successives

L’initiative de limitation a été lancée par l’UDC car le parti estime que son texte «contre l’immigration de masse» accepté par 50,3% de la population le 9 février 2014 a été contourné par le Conseil fédéral et le parlement. L’initiative de 2014 exigeait que «la Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers» et prévoyait des contingents et plafonds sur les autorisations pour le séjour des étrangers et étrangères en Suisse, fixés en fonction des intérêts économiques du pays.

L’article soumis à votation en septembre maintient le principe de la gestion autonome de l’immigration et y ajoute l’interdiction pour la Confédération de négocier de nouveaux traités internationaux instaurant un principe de libre-circulation des personnes ainsi qu’une obligation de renégocier l’accord de 1999 avec l’Union européenne. Celui-ci, entré en vigueur en 2002, garantit un droit d’entrée, de séjour et de travail aux mêmes conditions que les «nationaux». LDT

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