«L’attribution de cet argent serait à la discrétion du Conseil d’Etat»
Dans son avant-projet de loi d’application de la loi sur les jeux d’argent, le Conseil d’Etat vaudois entend se réserver 30% des bénéfices de la Loterie Romande pour financer ses projets de législature. La rédaction de Culture Enjeu soutient la position des milieux culturels et s’oppose fermement à cette disposition.
Avec la nouvelle loi sur les jeux d’argent, l’Etat de Vaud a un souci d’apport financier à résoudre. Jusqu’à présent, grâce à une taxe de 6% prélevée sur le produit des ventes de billets de loterie, le canton encaissait chaque année une jolie petite somme (19 millions en 2018). Cette pratique est désormais exclue par la nouvelle loi.
Acceptée par le peuple le 10 juin 2018, la loi fédérale doit être mise en œuvre au travers de lois d’applications dans chaque canton. La Loterie Romande étant intercantonale, il a fallu dans un premier temps mettre à jour la Convention romande sur les jeux d’argent (CORJA). A cette étape, Vaud saisit l’occasion de remplacer sa taxe par un autre mécanisme. L’article 8 autorise les cantons à se réserver «une partie des contributions, limitée à 30% du bénéfice à répartir». Celle-ci «peut être attribuée directement par le Conseil d’Etat ou par un service de l’Etat». Cela tombe bien, 30% du bénéfice net correspondrait à peu de chose près aux 6% de taxe sur les billets. L’Etat vaudois a une voie pour préserver son revenu, même si celui-ci serait désormais soumis à l’obligation de servir l’utilité publique et n’irait pas directement dans les caisses du canton.
L’avant-projet de loi vaudois est mis en consultation le 3 juillet 2020, avec un délai au 24 août. Il prévoit «une troisième entité en charge de la redistribution de 30% des bénéfices nets résiduels de la Loterie romande au profit d’entités à but d’utilité publique». Le rapport explicatif ajoute que «de ce fait, la création de ce fonds permettra le soutien de projets d’intérêts publics en lien avec le programme de législature. L’affectation des montants relèvera de la compétence du Conseil d’Etat».
Il est transparent dans le rapport explicatif que cette troisième commission vise à «pallier l’abandon de cette taxe» de 6% sur les billets de loterie. Dans leur réponse à la consultation, les milieux culturels estiment «peu respectueux de la volonté parlementaire puis populaire de réintroduire cette taxe non affectée de façon détournée en créant ab nihilo cette nouvelle instance».
Les recettes de la taxe sont versées dans les caisses cantonales, et contribuent au budget approuvé et contrôlé par le Grand Conseil. Avec le nouveau système proposé, l’attribution de cet argent serait à la discrétion du Conseil d’Etat, sans passer par les comptes de l’Etat. La tentation d’une utilisation politique des attributions de fonds sera forte, et cela menace de fragiliser la confiance des citoyen-ne-s en la transparence et l’indépendance de l’ensemble de la Loterie Romande. La totalité des bénéfices nets des jeux d’argent doivent être consacrés à des projets d’utilité publique, sans ingérence politique, ni le moindre soupçon de favoritisme.
Ce projet arrive au mauvais moment, d’autant plus venant d’un canton jouissant d’une santé financière exceptionnelle. La culture et le sport vaudois ont beaucoup souffert de la crise du coronavirus, et n’ont pas fini d’en subir les conséquences. Un apport supplémentaire de plusieurs millions serait d’une grande aide pour assurer la relance indispensable à la survie des artistes et des institutions. En revanche, ces 20 millions de perte sèche pour l’Etat de Vaud ne représentent qu’une goutte d’eau dans son budget annuel de 10 milliards, ou ses réserves de 3,3 milliards. Il n’y a pas de doute que le canton trouvera d’autres moyens pour financer ses projets de législature.