Covid-19 et santé des enfants dans le monde: une bombe à retardement
Comme le rappelle une communication de l’OMS1>https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/note_de_synthese_-_limpact_de_la_covid-19_sur_les_enfants_0.pdf, les enfants ne sont -heureusement- pas le visage de la pandémie actuelle, mais ils risquent d’en être les premières victimes. En effet, cette pandémie, dont on peut palper comment elle impacte notre quotidien, dans un pays où le système de soins a montré une capacité d’adaptation hors du commun et où la protection sociale a été globalement garantie – même si elle a mis en évidence ses limites et ses fragilités -, a des répercussions dramatiques dans d’autres contextes. On sait déjà que dans de nombreux pays africains, mais aussi en Inde ou au Brésil, les programmes de vaccination infantile de base sont stoppés ou ralentis depuis le début de la pandémie, comme de nombreux programmes tels que le suivi de grossesse, les prises en charge de malades chroniques, en particulier ceux atteints du SIDA et de la tuberculose. Déjà avant, l’OMS calculait que, en Afrique, un enfant sur cinq n’avait pas accès à ces vaccinations: en cause, des systèmes obsolètes d’approvisionnement et de distribution de vaccins qui retardent et limitent leurs effets, doublés d’une corruption avérée des élites politiques. Mais là, c’est toute une cohorte de petits enfants qui risque d’échapper à la vaccination avec un risque majeur, d’ici un an, d’épidémies de rougeole ou de réapparition de foyers de poliomyélite ou de méningite entre autres. C’est une première source d’inquiétude. Surtout si l’on sait que, déjà avant l’apparition de la COVID-19, au moins 1.5 million d’enfants mouraient chaque année par manque d’accès aux vaccins.
De plus, l’Afrique de l’Est, mais aussi le Yémen et le Pakistan font face à une invasion de criquets pèlerins (dont j’ai déjà parlé). Par ailleurs, la plupart des pays ont ordonné un confinement ou semi-confinement à cause de la pandémie, entraînant des pertes de revenus mais aussi des difficultés d’écoulement des produits agricoles ou des manques d’approvisionnement des marchés. Par ailleurs, les prix du pétrole ont fondu, comme pour d’autres matières premières, et les investissements étrangers se sont raréfiés : on assiste donc à une crise économique locale doublée d’un manque de liquidité des Etats.
Tout cela va fragiliser la sécurité alimentaire de nombreuses régions. Le FMI et l’OMS prévoient une augmentation pendant l’année en cours de l’extrême pauvreté (1,90 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat), qui ne concernerait plus 84 millions de personnes, comme dans le scénario prépandémie, mais 132 millions, pour environ une moitié d’ enfants. C’est la deuxième source d’inquiétude.
Sans parler des 188 pays qui ont imposé des fermetures des écoles à l’échelle nationale, touchant plus de 1,5 milliard d’enfants et de jeunes : certes, nombre d’entre eux ont « organisé » un enseignement à distance, mais auquel la majorité des populations des pays pauvres n’a pas accès. Sans compter que 368,5 millions d’enfants dans 143 pays dépendent normalement des repas scolaires comme source fiable de nutrition quotidienne. Par ailleurs, l’expérience de l’épidémie d’Ebola de 2014 a montré que la rescolarisation des filles après coup était nettement plus faible que celle des garçons et qu’il y avait une corrélation nette avec l’augmentation du nombre de grossesses chez les adolescentes. Il n’y a pas de raison que cela soit différent avec la Covid-19. C’est une troisième source d’inquiétude.
L’épidémie d’Ebola a aussi montré que, pour toutes sortes de raisons, le retour à la « normale » en termes de suivi et de prise en charge des grossesses à risque (rappelons que 7000 nouveaux-nés meurent chaque jour dans le monde), comme de suivi médical des enfants de 5 ans, prend du temps: or, force est de constater que l’on ne sait pas quand cette pandémie pourra être contrôlée, et que la situation d’avant était déjà alarmante.
Sans parler des enfants, accompagnés ou non, fuyant des zones de guerre, bloqués dans des conditions infâmes aux portes de l’Europe ou des États-Unis, où aucune protection contre la Covid-19 n’est organisée par les différents gouvernements.
C’est un vrai scandale de notre monde globalisé où chaque pays se préoccupe d’avantage de monnayer l’accès aux premiers vaccins pour sa population, pour le bonheur des pharmas, plutôt que de se battre pour un vaccin comme «bien public de l’humanité»… et de créer des conditions cadres de protection pour les plus fragiles, particulièrement les enfants.
Peut-on croire à un sursaut de la communauté internationale ?
Notes
Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.