Chroniques

Plus forts que le soleil

Transitions

Comme toutes les étoiles, notre soleil mourra un jour. Nous pas! Grâce à une escouade d’ambitieux milliardaires, dont Elon Musk et Jeff Bezos, l’humanité est appelée à voguer vers l’immortalité, de galaxie en galaxie, de planètes en exoplanètes. Ils préparent en effet le transit de l’humanité hors de sa pauvre Terre exsangue, une entreprise prométhéenne saluée avec emphase par la «Mars Society» qui en rêve depuis des décennies. Ces conquistadors autoproclamés ont la caution de quelques célèbres astrophysiciens, dont Stephen Hawking qui, en 2017, avertissait le monde: l’espèce humaine doit coloniser l’espace dans les cent prochaines années si elle ne veut pas disparaître. De quoi faut-il donc avoir peur? Du réchauffement climatique? De la destruction de nos écosystèmes? C’est pire: holocauste nucléaire, trou noir, tempête solaire, collision avec un astéroïde et j’en passe. A plus long terme (évitez de lire ce qui va suivre car c’est un vrai cauchemar), le soleil entrera en expansion, brûlant, il fera bouillir nos océans et avalera la Terre! Certes, c’est prévu pour dans 500 millions d’années, mais tout de même.

Alors que des milliers de jeunes grévistes du climat à travers le monde se mobilisent pour sauver la planète, ou du moins nos conditions de vie, les pionniers de l’espace, eux, ont déjà abdiqué. L’Univers leur réserve de nouvelles sources de profit. A les croire, des dizaines de milliers d’exoplanètes sont habitables, et le système solaire offre assez de ressources pour accueillir cent millions de milliards d’humains. Diable! Pourquoi d’autres civilisations cosmiques n’y ont-elles pas pensé avant nous? On ricanait jadis à propos des farfelus qui croyaient aux extraterrestres et aux soucoupes volantes, mais aujourd’hui c’est du sérieux. Que ce soit la NASA, l’Agence spatiale européenne, la Mars Society», SpaceX, ou Mars One, tous nous font miroiter d’abord un village sur la lune peuplé de scientifiques en 2030, d’une centaine de personnes en 2040, mille en 2050, puis des satellites habités en veux-tu en voilà. Quant à Elon Musk, il a prévu d’emmener des humains sur Mars dès 2023. Ses «vaisseaux des étoiles», Starships, sont déjà en construction.

A vrai dire, les élucubrations poétiques sur les petits hommes verts étaient plus honnêtes et moins prétentieuses que celles de ces colonisateurs faussement candides qui veulent nous faire croire que les humains sauront créer dans l’espace un monde fraternel et harmonieux et qu’ils y prospéreront grâce à leur créativité et à leur «esprit de liberté». Ils se réjouissent d’y être rejoints par tous les Terriens en proie à une «pulsion migratoire»! Tiens donc! Ont-ils manifesté la même ferveur pour accueillir ceux qui ont traversé les continents et les mers en quête d’un refuge ou d’une vie meilleure? Cet angélisme ne convainc pas. Rappelons que la conquête spatiale doit son origine à la guerre froide et que le ciel est truffé d’armes nucléaires et de missiles à grande portée. La militarisation de l’espace est plus que jamais à l’ordre du jour à la Maison Blanche et du côté de Pékin.

D’autres partisans de la colonisation poursuivent des objectifs plus concrets, voire écologistes. Grâce à l’inventivité et l’ingéniosité des colons, la preuve sera donnée, disent-ils, qu’il est possible de maintenir durablement dans l’espace un écosystème propre à l’humain. Apprendre à fabriquer de nouvelles ressources renouvelables sera utile à la Terre. Ils évoquent des avancées révolutionnaires en matière de robotique, d’intelligence artificielle et d’OGM, toutes inventions protégées, il fallait s’y attendre, par des brevets: la conquête spatiale reste un business! Du coup, ils trouveraient charmant de faire de la Terre une réserve naturelle que les humains de l’espace viendraient visiter de temps en temps. J’ai de la peine à embarquer dans cette mystification. Ces projets sont l’œuvre d’affairistes qui se sont enrichis grâce au pillage des ressources de notre Terre et qui s’apprêtent à siphonner celles des autres. Prétendre «terraformer» (à notre image, hélas) les astres que nous convoitons, c’est monstrueusement arrogant! A tout le moins, si l’espèce humaine mérite l’immortalité, faudrait-il prévoir de l’offrir aussi à la belette, au rossignol et au loup!

Même si la vie, sur terre et probablement dans l’espace, est partout issue des mêmes matériaux de base, cette «poussière d’étoiles» véhiculée par le cosmos dont parlait Hubert Reeves, nous sommes totalement dépendants du milieu qui nous a façonnés au cours de millions d’années. S’en extraire est suicidaire ou démoniaque. Plutôt s’activer à réparer notre maison que de chevaucher les étoiles filantes! Cependant, si un jour j’avais le bonheur d’avoir la visite d’un extraterrestre, je le saluerais avec respect et bienveillance et je le remercierais d’élargir mes horizons.

Ancienne conseillère nationale.

Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

Chronique liée

Transitions

lundi 8 janvier 2018

Connexion