La fuite du roi
Il était rentré au pays, enfant, sous la coupe infâmante du dictateur Francisco Franco. Successeur du caudillo, mais symbole d’une transition démocratique dont on ne saura jamais à quel point il la désirait, l’ex-roi Juan Carlos Ier a annoncé lundi qu’il quittait l’Espagne. A 82 ans, il reprend le chemin de l’exil comme un voleur, accablé par la justice et les soupçons de corruption et de fraude fiscale. Paradoxe de l’histoire, c’est la Suisse, ancienne terre d’asile de sa famille et havre de sa fille Cristina, qui a causé sa perte. Une enquête du Ministère public genevois sur les comptes cachés du monarque a révélé au monde, après ses penchants pour le massacre des éléphants, son appétit dévorant pour l’argent.
Connu des cercles médiatiques et politiques, l’affairisme du roi et son goût pour les coûteuses aventures extraconjugales ont longtemps été couverts par un establishment en mal de symboles rassembleurs. Le roi campechano, sympathique, décontracté, à la souriante petite famille modèle, était aussi devenu le sauveur de la démocratie naissante, menacée en 1981 par l’armée. Des militaires auxquels Juan Carlos de Borbón s’était pourtant plaint du désordre et du faible pouvoir royal.
Derrière le mythe, un homme avide d’argent et du pouvoir qu’il confère, proche des familles despotiques du Golfe Persique, qui finiront par causer sa perte, lui offrant des cadeaux millionnaires jamais déclarés au fisc. Très probablement pour mettre de l’huile dans les rouages de marchés publics. Occultée par une fondation panaméenne ou mise au nom de sa compagne inofficielle, cette fortune gonflait les déjà confortables revenus octroyés à Juan Carlos Ier par les citoyens espagnols, au moment même où il les appelait sévèrement à l’austérité afin de sortir de la crise de 2008.
Pour beaucoup d’Espagnols, lassés de la protection dont bénéficiait ce triste Sire, l’exil royal prend des airs de victoire. «Qu’il prenne son fils avec lui», grinçaient lundi soir des centaines d’internautes, en référence à Felipe VI, signe d’une royauté moins populaire que jamais. En mai, 51,6% des participants à un sondage disaient préférer la République à la Monarchie contre seulement un tiers de sondés fidèles au roi (34,6%).
Au-delà du risque de voir la justice entravée par ce départ et par l’immunité dont dispose Felipe VI, également titulaire de la fameuse fondation panaméenne, cette piteuse fuite du roi retraité assène un coup fatal à la crédibilité de la Maison Borbón. S’il y avait une guillotine démocratique, sans doute serait-elle actionnée.