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Pas de monopoles en temps de pandémie

Le remdesivir est le premier traitement homologué contre le Covid-19 en Suisse, mais y aurons-nous accès? Rien n’est moins sûr, selon l’ONG Public Eye, vu la foire d’empoigne en cours, également pour les – futurs – vaccins.
Santé

Swissmedic a provisoirement homologué début juillet l’antiviral remdesivir de la firme américaine Gilead pour traiter des patients atteints du Covid-19 en Suisse1 www.swissmedic.ch/swissmedic/fr/home/news/coronavirus-covid-19/erweitert_einsatz_remdesivir.html. Problème: les Etats-Unis viennent d’en accaparer 500 000 doses, soit la totalité de la production de juillet et 90% de celle d’août et septembre. La Suisse ne disposant que d’une maigre réserve, son accès au traitement est donc tout sauf garanti pour les mois à venir, notamment en cas de forte hausse des cas.

Comme le médicament est breveté, la Suisse ne peut pas importer de versions génériques. Le seul moyen légal pour garantir un accès suffisant au remdesivir est de recourir à la licence obligatoire afin de lever le monopole et autoriser la commercialisation de génériques. Il en existe de qualité dans plusieurs pays émergents, en accord avec Gilead. Ceux-ci coûtent jusqu’à 80% moins cher que les 2500 dollars par traitement de cinq jours exigés par le géant californien. Un prix excessif au vu des fonds publics massifs investis dans son développement, son efficacité limitée ainsi que ses coûts de production estimés à 1 dollar par jour. Le remdesivir devrait ainsi rapporter plus de 2 milliards de dollars par an à Gilead.

Les géants de la pharma ont beau répéter ne pas vouloir tirer profit de la crise, le naturel revient au galop. Gilead n’en est pas à son coup d’essai. En mars dernier, en pleine pandémie, la société américaine a eu le culot de demander un statut de médicament pour maladie rare pour le remdesivir, avant d’y renoncer sous la pression de l’opinion publique. Roche est aussi sous le feu des critiques en Inde pour le prix élevé ainsi qu’un approvisionnement insuffisant de son Actemra, potentiellement utile chez des malades graves du Covid-19 présentant une surréaction inflammatoire. Il y est vendu 600 dollars la dose (1000 francs en Suisse) alors qu’il s’agit d’un ancien traitement repositionné déjà rentabilisé. Roche refuse aussi de lâcher le monopole sur sa fabrication, ce qui permettrait pourtant de répondre à la demande en décuplant la production. Si l’Actemra était homologué contre le Covid-19, nous pourrions assister au même scénario que pour le remdesivir, puisqu’il est fabriqué en quantité limitée par la filiale de Roche aux Etats-Unis.

Début avril déjà, Public Eye recommandait à Alain Berset de suivre l’exemple de l’Allemagne et de prévoir une procédure accélérée de licence obligatoire en Suisse afin d’en faire un instrument efficace en temps de crise. Notre demande est toutefois restée lettre morte. Alors que le remdesivir risque de manquer dans les deux pays, l’Allemagne pourra remédier plus rapidement au problème que la Suisse. Si Berlin passe à l’action, la Confédération ne pourra pas non plus en profiter pour importer des génériques commercialisés dans le pays voisin puisqu’elle refuse par principe de le faire.

La Suisse n’a pas répondu non plus à notre appel à soutenir un mécanisme proposé fin mars par le Costa Rica à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Lancé sous le nom de C-TAP (Covid-19 Technology Access Pool), il prévoit la mutualisation de tous les brevets et autres droits exclusifs des tests diagnostiques, médicaments et vaccins nécessaires à la lutte contre le coronavirus. Une initiative pourtant soutenue par l’OMS et de nombreux Etats, notamment européens, ainsi que par d’anciens hauts dirigeants de la pharma comme Paul Fehlner, ancien patron de la propriété intellectuelle de Novartis.

Les perspectives ne sont pas plus encourageantes pour les vaccins, malgré les nombreuses recherches en cours. Alors qu’au printemps elles considéraient ceux-ci comme «un bien public mondial accessible partout dans le monde», les grandes puissances – Etats-Unis et Europe en tête – commandent des doses à tour de bras pour leurs propres besoins, sans certitude de leur efficacité ni se préoccuper de savoir s’il en restera pour les autres. La Suisse a prévu un budget de 300 millions de francs à cette fin. Les appels à la solidarité internationale ont donc cédé la place à un égoïsme national qui met en péril toute solution globale pour une répartition équitable. Les pays hébergeant des géants pharmaceutiques continuent en outre de leur offrir des subventions publiques massives, sans aucune condition concernant le prix final du vaccin ou son accessibilité.

Les monopoles représentent un frein à une augmentation rapide de la production et une répartition équitable à l’échelle mondiale. Sans un mécanisme comme le C-TAP, la pharma peut décider seule qui est en droit de fabriquer son produit, d’en bénéficier et à quel prix, en fonction de ses intérêts commerciaux, comme le montre l’exemple du remdesivir. Seul l’échange sans entrave du savoir permettra de garantir un accès équitable pour tous et toutes. C’est de courage politique et de solidarité internationale dont le monde a besoin aujourd’hui.

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Opinions Agora Patrick Durisch Santé

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