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La vague dans la première vague

Les Etats-Unis ont enregistré mardi près de 55’000 nouveaux cas et franchi la barre des 130’000 morts. Une quarantaine d’Etats ont rouvert bien trop vite. Résultat: une hausse alarmante des contaminations.
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Une famille s’arrête sur un site de test au volant à Phoenix, Arizona: les infections à coronavirus explosent dans certains Etats. KEYSTONE
États-Unis

New York, longtemps l’épicentre de la pandémie mondiale, doit s’arracher les cheveux: après près de quatre mois de confinement strict, la ville – et l’Etat – s’ouvre progressivement mais doit mettre un frein à l’ouverture des salles de ses restaurants, prévue lundi passé. Et imposer la quarantaine aux personnes en provenance de plusieurs des Etats qui connaissent une flambée très inquiétante des contaminations dues au Covid-19, principalement dans le sud et l’ouest des Etats-Unis.

Pays le plus touché avec 2,9 millions de cas recensés et qui a dépassé mardi la barre des 130’000 morts, les Etats-Unis (330 millions d’habitants sur un territoire presque aussi grand que l’Europe) ne parviennent toujours pas à infléchir la courbe. Au cours de ces derniers jours, le nombre de contaminations a atteint des records, dépassant souvent les 50’000 cas quotidiens. Ce chiffre pourrait passer à 100’000, selon Anthony Fauci. Le charismatique immunologue, le seul qui semblait tenir tête au président Donald Trump au sein de la cellule de crise de la Maison-Blanche, ne cache pas son désarroi: «La situation est désormais hors de contrôle.»

Beaucoup trop tôt

Comment en est-on arrivé là? «On a beaucoup entendu dire que la hausse des cas était liée à la hausse des tests. Ce qui n’est pas si faux, puisque l’on teste aux Etats-Unis 600’000 personnes par jour actuellement contre 250’000 en mai. Mais ça ne suffit pas à expliquer l’intensification de la pandémie aux Etats-Unis, loin de là», affirme Sarah Rozenblum, politologue et chercheuse en santé publique à l’Université du Michigan. «Cette aggravation est principalement due au fait qu’une trentaine d’Etats ont mis en œuvre leur plan de sortie de crise de manière prématurée.

«La situation est désormais hors de contrôle» Anthony Fauci

Début mai, ils avaient déjà commencé à assouplir les mesures de confinement alors que le virus circulait très activement sur leur territoire. C’est notamment le cas de l’Arizona, qui a mis fin au déconfinement de manière indifférenciée, sans tenir compte de la circulation active du virus selon les comtés.» Maire de Phoenix, la capitale de cet Etat, Kate Gallego s’est ainsi désolée sur ABC: «Nous avons ouvert bien trop tôt en Arizona.»

Hôpitaux débordés

La Californie, elle, avait pris des mesures de confinement très rapidement dans l’année. Mais des comtés du sud ont ouvert plus tôt que ceux du nord, favorisant la propagation. Résultat: une hausse de 70% des cas au cours des deux dernières semaines. La Floride n’est pas en reste. Tout comme le Texas, qui a commencé à rouvrir son économie dès le 1er mai, ses bars dès le 22 mai. «Soit des semaines avant l’Illinois et les Etats du nord-est, qui déconfinent progressivement. Or à la fin du mois de juin, le Texas annonçait plus de 17’000 cas en trois jours», souligne Sarah Rozenblum. Malgré ces chiffres préoccupants, le gouverneur républicain Greg Abbott entendait accélérer l’ouverture de son économie.

«Aujourd’hui, les hôpitaux texans se retrouvent presque à leur pleine capacité, alors qu’on peut s’attendre à des afflux massifs de patients ces prochains jours ou ces prochaines semaines», s’inquiète Sarah Rozenblum. Les hôpitaux texans ont accueilli près de 8000 patients ce week-end, contre un peu plus de 3000 il y a seulement deux semaines. En Arizona, environ 90% des lits en unités de soins intensifs sont pleins. A Miami Beach en Floride, les hospitalisations pour coronavirus ont doublé en deux semaines, et 160 personnes se retrouvent sous ventilation contre une soixantaine quatorze jours plus tôt, a déclaré le maire démocrate Dan Gelber à CNN.

Les bars du Texas sont désormais fermés. Les Etats qui ont déconfiné trop vite, souvent avec le blanc-seing du président, doivent aujourd’hui faire marche arrière, se mettre en pause ou revoir leurs mesures. Greg Abbott, qui s’est longtemps opposé au port du masque, vient de l’imposer. Tout comme le gouverneur de l’Arkansas, le républicain Asa Hutchinson. En Floride, il n’est plus possible depuis vendredi de servir de l’alcool dans un bar. Une mesure qui vise avant tout les jeunes de moins de 35 ans: ils représentent un cas sur deux des nouveaux contaminés dans le pays (ce qui explique pourquoi la courbe des morts n’a que peu été influencée, pour l’heure, par la hausse des cas).

Beaucoup de jeunes

De quoi réjouir le vice-président Mike Pence, qui a estimé cette information encourageante. «C’est vrai que les jeunes ont un meilleur pronostic vital que les personnes âgées. Mais je ne pense pas que cela doit être un motif de réjouissance, d’autant qu’on est en train de découvrir des effets secondaires qui peuvent perdurer et affecter les jeunes comme les personnes âgées», rappelle Sarah Rozenblum. «De plus, les jeunes peuvent être asymptomatiques et transmettre, sans le savoir, le virus à leurs proches. Ce qui peut s’avérer dramatique, surtout lorsqu’ils sont en contact avec des personnes plus fragiles.»

Ce qui est malheureux, poursuit la chercheuse, c’est de constater que les recommandations formulées par des scientifiques, sur la base des données dont ils disposaient, n’ont pas toujours été suivies. «Ou lorsqu’elles l’ont été, elles l’ont été tardivement. Et un certain nombre de décès auraient pu être évités. C’est toujours le cas actuellement: des Etats ont déconfiné de manière prématurée et c’est ce qui a conduit à cette intensification de l’épidémie.» Intensification, et non seconde vague: «On l’attend toujours», assure Sarah Rozenblum. «Ce que l’on est en train de vivre ici, c’est une vague dans la vague. Et cette première vague, que certains Etats ont réussi à contenir, n’est toujours pas achevée. Si deuxième vague il y a, elle se manifestera plus vraisemblablement à l’automne.»

Des choix très contestables

Photo: DR

Aux Etats-Unis comme un peu partout dans le monde, il est presque inévitable qu’une crise de cette ampleur soit politisée. Surtout avec une élection présidentielle en vue. «Malheureusement cette politisation se traduit par des choix au plus haut sommet de l’Etat qui sont très contestables et qui ont conduit à la situation que l’on connaît actuellement ici», relève Sarah Rozenblum, politologue et chercheuse en santé publique à l’Université du Michigan.

«La Maison-Blanche a formulé un certain nombre de recommandations au printemps pour essayer d’impulser une stratégie commune et pour essayer de coordonner la réponse des Etats face à la menace. Mais ces recommandations sont par nature non contraignantes. Chaque Etat a agi de manière unilatérale, ne s’est pas concerté avec ses voisins.» Puis, la Maison-Blanche s’est totalement désengagée de la gestion de la crise dès le mois de mai. «Elle a renié ses responsabilités. Cela s’est traduit sur le terrain par des réponses non coordonnées. Et qui ont pour résultat cette situation actuelle.»

Ainsi, les efforts de villes ou d’Etats qui se voulaient plus stricts ont été compromis par le laxisme des Etats voisins, qui se sont également désengagés de la gestion de la crise. «C’est toute la difficulté dans un Etat fédéral, où le système de santé est fragmenté, où la Maison-Blanche ne peut intervenir qu’en formulant des recommandations. Le rôle de leadership du président est finalement limité dans ce genre de situation.»

Aujourd’hui, les Etats qui ont déconfiné trop vite doivent revenir à la phase d’atténuation, celle qui consiste à prendre les mesures de distanciation sociale, imposer l’usage de masques dans les lieux publics, renforcer les capacités d’accueil dans les hôpitaux. «Or beaucoup de gouverneurs sont assez peu enclins à réintroduire ces mesures, pour des raisons principalement économiques et politiques», souligne Sarah Rozenblum.

Et pendant ce temps-là, dans son univers parallèle, Trump martèle que le virus est sans danger «dans 99% des cas» détectés, et que la crise est «sur le point» de s’achever. Ce qui a fait sortir dimanche de ses gonds la Food and Drug Administration, l’autorité américaine compétente en la matière, qui a tenu à rappeler que le virus est un «problème grave». Le maire d’Austin (Texas), le démocrate Steve Adler, a pour sa part qualifié les propos du président de «dangereux». KP

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