Édito

Un passé à dépasser

Un passé à dépasser
Le buste de Carl Vogt devant l'Université de Genève. CEDRIC VINCENSINI
Racisme

Une bande dessinée d’intervention sociale. Juliet Fall, professeure de géographie à l’université de Genève, a publié une suite de six planches consacrées à la part d’ombre de Carl Vogt. Ce dernier, chercheur réputé au XIXe siècle, politicien progressiste – il a son boulevard au bout du lac et son buste devant Uni-Bastions – a aussi commis des écrits qui laissent sans voix lorsqu’on les lit quelque cent cinquante ans plus tard: il a consacré une énergie considérable à prouver l’existence des races humaines, de leur inégalité, sans oublier une sérieuse dose de misogynie.

La BD questionne cette «mauvaise science». Et s’inscrit au sein de l’actualité de ces derniers jours. La nomenclature des rues est questionnée. Tout comme la statuaire qui occupe l’espace public et fait tellement partie du paysage qu’on ne la voit parfois même plus. Mais qui laisse des traces. Récemment, des statues ont été contestées, voire déboulonnées de leur piédestal. Généralement des personnages ayant fait fortune dans la traite des esclaves.

Avant de s’indigner du vandalisme, relevons que c’est aussi parce que ces débats ont souvent été refusés qu’aujourd’hui certaines digues cèdent devant des flots d’indignation. Ce qui ne les excuse pas forcément – le risque du coup d’éclat par mimétisme n’est jamais très éloigné – et peut conduire à des dérives. L’iconoclastie a aussi été la traduction de menées totalitaires et liberticides.

Mais pas que. Les révolutions – et celle qui voit une révolte ébranler les fondements des inégalités sociales et ethniques trop souvent niées en est une – peuvent mener à ces actes excessifs; cela ne disqualifie pas les progrès dont elles sont souvent porteuses. A commencer par la Révolution française. Et, surtout, cela ne doit pas nous détourner du nécessaire devoir de revisiter, de réinterpréter et de recontextualiser notre passé.

Il y a vingt-cinq ans, l’affaire des fonds en déshérence ébranlait la vision que la Suisse avait d’elle-même. L’examen fut parfois douloureux, les polémiques souvent violentes. Mais, à l’arrivée, le travail d’introspection qui a été imposé à la Suisse s’est révélé positif. Cette période peut aujourd’hui être examinée de manière un peu plus dépassionnée. On respire mieux.

Le défi sera le même à l’heure où la pensée décoloniale pénètre dans l’espace politique, idéologique et scientifique suisse. Et rien n’indique que cela soit hors de la portée de nos institutions et du débat public.

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BD

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mercredi 17 juin 2020 Roderic Mounir
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