Tribune des métiers du livre en Suisse romande
Le livre est un outil privilégié de la pensée et un indispensable repère pour la société culturelle et médiatique. Tous ceux qui participent à son émergence, à sa réalisation et à sa diffusion le font avec passion et conviction, dans un modèle économique fragile. Le livre est le produit d’un terreau culturel qui ne saurait se passer d’un seul de ses acteurs : auteurs, éditeurs, libraires, diffuseurs, passeurs, lecteurs sont les maillons indispensables de la chaîne.
Grâce à l’engagement de ceux qui l’ont écrite, l’histoire du livre en Suisse romande est celle d’un patrimoine exceptionnel et d’une culture littéraire particulièrement fertile qui participe au rayonnement mondial de la Suisse dans son ensemble. Le Prix Nobel de littérature 2018 a été décernée à Olga Tokarczuk, publiée en français par les éditions Noir sur blanc à Lausanne. L’illustratrice genevoise Albertine éditée par les éditions La Joie de Lire vient d’être couronnée par le prestigieux prix Hans Christian Andersen. Les auteurs et les œuvres romands sont traduits dans le monde entier, adaptés au cinéma, publiés à la Pléiade.
Même s’ils bénéficient de soutiens institutionnels ou privés, les éditeurs et les libraires sont les parents pauvres de la culture. Les montants qu’ils reçoivent restent modestes. Rappelons que leur métier, celui de passeur, est tributaire d’un marché aux règles implacables. Aujourd’hui, comme tous les acteurs culturels, les éditeurs et les libraires souffrent des conséquences de
la pandémie. Mi-mars, la filière du livre a été stoppée dans son élan. Des initiatives originales ont vu le jour mais elles sont anecdotiques en regard de la chute drastique du chiffre d’affaires subi. Cette chute aura des conséquences durables sur la route de la profession qui ne retrouvera son rythme de croisière que dans plusieurs mois, en étant optimiste.
Suite à la crise du coronavirus, l’Office fédéral de la culture (OFC) a publié une ordonnance visant à indemniser les différents acteurs du monde culturel suisse. De manière inexplicable, les éditeurs et libraires suisses ont été exclus de ces aides. Le Cercle de la librairie et de l’édition de Genève et l’association faîtière LIVRESUISSE ont alerté les autorités fédérales et cantonales afin de leur faire part des risques que représente l’absence de tout soutien à la profession. Nos voisins français et allemands accordent dans ce contexte des crédits très importants à la culture qui comprend à l’évidence les éditeurs et les libraires.
Ni l’OFC, ni aucun canton romand n’ont, à ce jour, décidé d’accorder un soutien particulier au milieu du livre. Les maisons d’édition et les librairies se retrouvent ainsi placés hors du champ de la culture. Pourtant, c’est bien en tant qu’acteurs culturels, que les éditeurs bénéficient de conventions de subventionnement de la part de la Confédération. Comment justifier l’ignorance de ce statut en ce temps de crise ?
On aurait pu s’attendre à quelques signes encourageants de la part de la Directrice de l’Office fédéral de la culture dans l’entretien donné au Temps le 30 mai. Certes reconnaissant que « les éditeurs jouent un rôle capital dans la richesse de notre terreau littéraire et intellectuel » et que la situation des libraires est difficile, Madame Chassot dit que « les éditeurs ne se sont pas vu interdire d’exercer leurs activités. »
Un camouflet qui nous fait prendre conscience que des hauts fonctionnaires, voire certains responsables politiques de notre pays n’ont aucune connaissance de la réalité de notre métier.
Comme n’importe quel directeur de théâtre qui s’est vu contraint d’imaginer la suite improbable de sa programmation, les éditeurs ont travaillé à l’aveugle, en restructurant leur programme de parutions des mois à venir. La fermeture des librairies a sabordé la parution des livres de fin mars à fin juin, livres pour la plupart déjà imprimés et dus aux imprimeurs.
Comme n’importe quel directeur de théâtre qui voit les tournées de ses spectacles partir en fumée, les éditeurs ont subi l’annulation de nombreuses manifestations concernant leurs livres et leurs auteurs en Suisse ainsi qu’à l’étranger, comme celles des salons du livre et des foires, de Paris, de Londres, de Bologne, de St Malo, peut-être de Francfort en octobre prochain, qui s’annonce très peu fréquentée. Ils ont dû composer avec des festivals réduits à un format numérique comme Les Journées littéraires de Soleure. Ils ont dû renoncer par exemple à des expositions importantes, préparées de longue date et mettant en évidence le travail des écrivains et des artistes qu’ils défendent.
Comme n’importe quel directeur de théâtre qui cherche à garder le contact avec son public malgré la fermeture, les éditeurs ont proposé à leur public, en l’occurrence leurs lecteurs, par leur site Internet, des activités gratuites de toutes sortes, mettant en avant les créateurs qui leur font confiance.
Quant aux librairies, comme les théâtres et les cinémas, elles ont été victimes de l’obligation de fermeture. Toutes leurs manifestations prévues ont été annulées et leurs ventes par correspondance bien en-deçà des ventes habituelles.
Aujourd’hui, après deux mois de ventes quasi nulles, tandis que le creux de l’été approche, les livres de la rentrée littéraire de septembre sont présentés aux libraires. Sans leur trésorerie habituelle, les précommandes sont plus faibles ; or ces ventes ne seront pas suffisantes à la survie des éditeurs et à celle de leurs auteurs. Les risques de faillites sont considérables.
Tous ensemble, plus que jamais solidaires face à cette épreuve inédite, nous sommes prêts pour la relance, mais ne pouvons la mener à bien sans un soutien réel et concret des autorités fédérales et cantonales ! Nous comptons sur ceux qui nous représentent pour soutenir le livre.
Genève, mardi 9 juin 2020
Francine Bouchet – Éditions La Joie de lire
Laurence Gudin – Éditions La Baconnière
Alain Berset – Éditions Héros-limite
Matthieu Mégevand – Éditions Labor et Fides
Signataires :
Éditions de l’Aire, Michel Moret – Libreria Albatros, Rodrigo Díaz – Éditions Alphil, Alain Cortat – Librairie Albert le Grand, Samir Sawwaf – Éditions Antipodes, Claude Pahud – Éditions art&fiction, Stéphane Fretz et Christian Pellet – Librairie Atmosphère, Claire Renaud – Éditions Atrabile, Daniel Pelllegrino – Éditions d’autre part, Jasmine Liardet – Librairie Basta!, collectif – Librairie le Boulevard, collectif – Éditions Cabedita, Valérie Caboussat – Éditions Campiche, Bernard Campiche – Librairie Au Chien Bleu, Catherine Drijard et Catherine Yersin – Éditions Contrechamps, Philippe Albèra – Librairie Cumulus, Leticia Ramos – Éditions Droz, Max Engammare – Éditions Drozophile, Christian Humbert-Droz – Éditions Encre fraîche,
Alexandre Regad – Éditions d’en-bas, Jean Richard et Pascal Cottin – Éditions Georg, Michael Balavoine – Éditions Helvetiq, Hadi Barkat – Librairie L’étage, Céline Besson – Librairie du Lac, Asciano Cecco – Librairie La Fontaine, Véronique Overney – Café-Libraire Livresse, Véronique Gendre – Librairie La Librerit, Véronique de Sépibus – Librairie La Liseuse, Françoise Berclaz – Éditions Médecine & Hygiène, Michael Balavoine – Librairie La Méridienne, Chantal Nicolet – Éditions MétisPresses, Franco Paracchini – Éditions Noir sur Blanc, Vera Michalski – Librairie nouvelles pages, Véronique Rossier – Éditions Notari, Luca Notari – Éditions Olizane, Matthias Huber – Librairie Page 2016, Anne-Françoise Koch – Librairie Page d’Encre, Nicole Brosy – Librairie le Parnasse, Carine Fluckiger et Marco Dogliotti – Payot libraire, Pascal Vandenberghe – Éditions PPUR, Lucas Giossi – Librairie Le Rameau d’Or, Frédéric Saenger – Éditions Slatkine, Ivan Slatkine – Éditions des Syrtes, Gabrielle Cottier et Olimpia Verger – Librairie Le Vent des
Routes, Alain Rodari – Éditions Zoé, Caroline Coutau.