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Donald Trump dégaine la Bible et l’armée

Alors que les violences policières racistes entraînent une immense vague de contestation non-violente aux Etats-Unis, le président s’adresse à son électorat, usant de symboles qui n’ont rien pour apaiser les tensions.
Donald Trump dégaine la Bible et l’armée
Les témoignages attestent de personnes gardant leur calme, levant les mains en l’air ou s’agenouillant en hommage aux morts. NINA BEVAR
États-Unis

Les cris de «No justice no peace» (pas de justice, pas de paix) résonnent à travers au moins 140 villes des Etats-Unis, en réaction aux violences policières racistes et au suprémacisme blanc. La brève intervention de Donald Trump, lundi soir, n’a pas apaisé le mouvement Black Lives Matter (les vies noires comptent). Au contraire. Le président a accumulé les symboles militaires et fondamentalistes, s’affirmant du côté des pacifistes tout en accusant les mouvements antifascistes de terrorisme. Il a appelé à «mettre fin aux émeutes» par une «force écrasante» et la «domination». Sur le terrain, la colère ne retombe pas.

Les manifestations ont eu lieu en réaction à la mort par asphyxie de George Floyd, Afro-Américain dont la trachée a été écrasée par un agent de police sans que ses collègues n’interviennent, à Minneapolis la semaine dernière. Un crime qui s’ajoute à une longue liste de décès de personnes noires tuées par des forces de l’ordre. D’impressionnants cortèges se sont tenus à Atlanta, New York, Oakland (Californie), Los Angeles ou encore à Washington D.C. Partout, l’appel est à des rassemblements pacifiques et non-violents.

Communication à l’électorat

Si des débordements ont eu lieu – vols, voitures incendiées, vitrines brisées –, les témoignages attestent avant tout de personnes gardant leur calme, levant les mains en l’air ou s’agenouillant en hommage aux morts. C’était le cas à quelques centaines de mètres de la Maison Blanche, lundi dans la capitale. Jusqu’au moment où police militaire, garde nationale et services secrets ont appuyé les agents en poste pour repousser les manifestants, usant de gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc et engins explosifs à quelques minutes de l’allocution présidentielle.

«Le président a besoin d’images fortes et nous, médias, devons veiller à ne pas les lui donner», a averti le journaliste Don Lemon sur la chaîne CNN. L’analyste a averti que le discours axé sur «la loi et l’ordre» du président devait s’appuyer sur des scènes violentes pour fonctionner, et que celui-ci s’adresserait plutôt à son électorat de novembre prochain qu’aux protestataires. Après une courte dénonciation du cas de George Floyd, Donald Trump a surtout insisté sur les heurts et une éventuelle intervention de l’armée. Il a ensuite posé, Bible à la main, devant l’église épiscopale Saint-John, connue comme «l’église des présidents», où les forces spéciales avaient fait place nette, en déclarant: «Nous avons un grand pays.» «Qu’allez-vous faire? Bâtir une forteresse autour de la Maison Blanche et ne pas écouter les personnes qui frappent à la porte en hurlant ‘nous avons besoin d’être entendus’?», s’interrogeait Don Lemon.

«Quand les choses changeront»

«Les personnes noires sont pourchassées», a dénoncé pour sa part Tamika Mallory, activiste de Black Lives Matter. «Nous déclarons l’état d’urgence contre le nationalisme blanc, contre le président qui a dit à la police ‘Ne soyez pas trop sympas quand vous les coffrez’.»

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A New York, le défilé est pacifique, on appelle à ne pas provoquer la police. NINA BEVAR

 

Les manifestations se poursuivaient, mardi soir. Suissesse résidant à Brooklyn, Nina Bevar témoigne de la forte détermination du mouvement, dont la moyenne d’âge se situe entre 20 et 40 ans. «Plus personne ne réagit aux propos de Trump car ce qu’il dit ne fait plus sens. L’attente est que tous les policiers impliqués soient inculpés et que les faits soient requalifiés.» Pour l’heure, seul un des agents est accusé d’homicide involontaire. «Les Noirs sont fatigués de vivre cette injustice. Ils s’arrêteront quand les choses changeront.»

Mouvement solidaire

Nina Bevar décrit une énergie positive dans les manifestations auxquelles elle assiste depuis samedi. «Beaucoup de personnes viennent à vélo. On appelle à ne pas provoquer la police, il y a des distributions de barres de céréales, d’eau, de cartons pour fabriquer des pancartes, de masques et de solutions désinfectantes pour les mains.» Lorsque des participants se montrent violents, ils sont rappelés à l’ordre, indique-t-elle.

Plusieurs cas documentés ont aussi démontré que des suprémacistes blancs ont cherché à causer des troubles pour incriminer le mouvement antiraciste. Mais la solidarité demeure le plus souvent à l’œuvre. Certains participants usant du «privilège blanc» – un terme désignant les avantages fournis par l’organisation sociale à une catégorie de population dominante – pour protéger par leur présence en première ligne les manifestants noirs rassemblés plus au centre des cortèges. «Ils réfrènent ainsi les réactions policières les plus violentes, confirme Nina Bevar. La parole, elle, revient aux principaux concernés.»

une tournure politique

La maire de Washington, Muriel Bowser, a protesté contre l’envoi des militaires «dans les rues américaines contre les Américains», une attaque reprise par de nombreux gouverneurs démocrates.
Car la crise, dans un pays déjà extrêmement divisé, prend une tournure de plus en plus politique. Le candidat démocrate à la présidentielle du 3 novembre, Joe Biden, a accusé mardi Donald Trump d’avoir «transformé ce pays en un champ de bataille miné par de vieilles rancunes et de nouvelles peurs».
Lors d’un déplacement à Philadelphie, il a promis de «guérir les blessures raciales qui meurtrissent notre pays depuis si longtemps». Face aux protestations, qui interviennent dans des Etats-Unis où les inégalités sociales et raciales sont déjà exacerbées par la pandémie de Covid-19, Donald Trump est resté silencieux jusqu’ici sur les réponses aux maux dénoncés par les manifestants. ATS

International Laura Drompt États-Unis

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