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Je ne veux pas revenir à la normalité

La crise sanitaire a révélé les déficiences du modèle économique dominant, porteur d’injustice sociale. Florio Togni plaide pour une sortie de cette «normalité» néolibérale et productiviste, au profit d’un monde plus juste et plus solidaire.
Économie

Si je ne veux pas revenir à la normalité, c’est justement parce que la normalité est le problème. Mais qu’est-ce que la normalité dans ce système économique?

• Des politiques d’austérité et des restructurations successives des systèmes de santé, des fermetures d’hôpitaux, des privatisations, la réduction du nombre de lits, des réductions de personnel de tout ordre, pour se retrouver ensuite dans une situation d’urgence difficile, supportable uniquement grâce à la générosité et à l’engagement sans faille des mêmes employé-e-s soi-disant en surnombre il y a quelques mois encore;

• Des politiques économiques vouées exclusivement à la rentabilité maximale et immédiate, des délocalisations pratiquées uniquement pour rogner sur le coût du travail, des licenciements massifs tout en payant des dividendes aux actionnaires, au mépris des pans entiers de la population qui se retrouve soudainement en situation de chômage, de précarité, voire de pauvreté;

• Des catégories professionnelles – je ne pense pas seulement au personnel soignant, mais également aux employé-e-s des supermarchés, aux nettoyeurs/euses, aux postier-e-s, aux conducteurs/trices de bus, livreurs-euses sous-payé-e-s, peu considéré-e-s… à toutes ces professions souvent exercées par des femmes encore moins bien payées – qui sont devenues soudainement essentielles;

• Des milliers de sans-papiers, indispensables à la bonne marche de la vie de tous les jours (garde d’enfants et de personnes âgées, employé-e-s de la restauration et dans le nettoyage, par exemple), exploité-e-s et sans droits, gagnant des salaires de misère, et qui se sont retrouvé-e-s du jour au lendemain sans salaire et avec le frigo vide;

• Des initiatives successives qui vident les caisses de l’Etat (comme le paquet RFFA voté il y a un an), qui permettent l’évasion fiscale, la fuite dans les paradis fiscaux – initiatives lancées et promues par ceux-là même qui ensuite appellent l’Etat à l’aide selon le vieux principe de privatisation des profits et de socialisation des pertes;

• L’environnement et la nature à bout de souffle;

• … la liste pourrait être encore très longue.

Je ne veux pas retourner à cette normalité-là. Au delà de la nécessité de mettre en discussion de manière forte cette vision du monde, la crise sanitaire en cours nous a montré une autre normalité, celle de la solidarité entre les gens, faite de gestes simples – faire les courses pour les voisins, téléphoner, prendre des nouvelles –, celle de la dignité de ces professionnel-le-s qui se sont engagé-e-s pour le quotidien de la population toute entière en prenant sur eux-elles les risques de la contagion, celle de penser d’abord au bien commun – la santé, le soutien, le partage – plutôt que la compétitivité, l’individualisme, le consumérisme.

Appuyons-nous sur ces valeurs-là pour ne pas laisser le monde d’avant revenir en force. Et surtout pour en construire un plus juste, plus humain, plus égalitaire.

Notre invité est établi à Meinier (GE).

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