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Un contrôle exacerbé

Tawfik Chamaa se montre très inquiet face à la présence de plus en importante du numérique depuis le début de la pandémie.
Surveillance

Avec les prédictions de l’après-coronavirus qui se multiplient, naviguant entre optimisme et pessimisme, une ère d’un nouveau totalitarisme souffle sur notre globe.

Nous étions nombreux, en Suisse romande, à recevoir des petits paquets de mouchoirs en papier en guise de publicité pour des consultations médicales urgentes en ligne afin d’éviter les files d’attente devant les centres d’urgence assignés par l’Etat, les médecins comme d’autres secteurs subissant le grand shutdown de plein fouet.

Au-delà du débat sur la télémédecine et son entrée inéluctable dans nos vies, la signification de l’utilisation comme support publicitaire d’un paquet de mouchoirs jetables est plus qu’inquiétante, pour ne pas dire humiliante pour le médecin que je suis.

La prédiction d’une vie numérique téléguidée à distance n’est plus un film futuriste. Notre résignation devant l’urgence de la distanciation sociale nous mène vers l’acceptation de facto d’une multitude de soumissions que nous n’aurions jamais acceptées aussi facilement en temps normal.
Télétravail, téléachats, télé-éducation, télé-sport (les familles devant les écrans pour le sport du matin) et enfin la télépolitique (nos politiciens sont nombreux à continuer de téléguider leurs équipes depuis leur isolement imposé par le coronavirus, comme par exemple le premier ministre Boris Johnson).

Au-delà de la qualité des relations humaines qui subit une mutation majeure, remettant en question l’importance de la communication physique dans les interactions sociales (une étude récente de neuro-imagerie fonctionnelle montre une différence significative dans notre fonctionnement cérébral si notre regard est «jeté» sur une personne physiquement présente ou si on la regarde à travers un écran numérique), ce nouveau téléguidage des sociétés est inquiétant à plus d’un titre.

Notre survie est ainsi dictée et contrôlée par le numérique qui peut d’ores et déjà être maîtrisé non seulement par les Etats, mais aussi par les grandes sociétés de services.

La pandémie n’a pas seulement justifié cette approche, mais l’a aussi poussée à ses extrêmes. Ainsi, la totalité des besoins essentiels à la survie sont contrôlables à distance.

Dans ce contexte, il m’est difficile de ne pas citer l’exemple de la Syrie qui avait réussi à précéder la crise actuelle sur le plan numérique en imposant une «carte intelligente» à des millions de citoyens pour accéder à l’achat des denrées essentielles comme l’essence, la nourriture, les paiements d’électricité et des factures d’internet (le lien étant ainsi accessible au contrôle étatique). Le contrôle absolu était déjà en marche pour confirmer la grippe d’un totalitarisme dictatorial.

Réduit à un adresse IP, l’être humain est ainsi repérable à distance, peu importe les lieux et les circonstances. Le contrôle sur sa vie est total: non seulement on peut vérifier sa soumission à une interdiction de circuler (les drones des Etats repérant les routes vidées de la planète) mais on peut aussi, et à tout moment, lui couper le cordon de sa survie en s’attaquant à sa «carte intelligente».

Ainsi, le concept d’un médecin équivalant à un mouchoir en papier jetable ne s’appliquera plus seulement à la consultation médicale impersonnelle mais aussi au citoyen, dans sa banalité numérique qui peut devenir jetable à tout moment par les autorités de contrôle.

Tawfik CHAMAA,
médecin, Genève

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