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Les oubliés de la crise

Pointant les «effets collatéraux» de la pandémie, Nago Humbert, fondateur de Médecins du Monde Suisse, s’inquiète du sort des malades chroniques, patients âgés, personnes en soins palliatifs et de leurs proches.
Santé

En cette période de pandémie, comme dans les catastrophes humanitaires, les personnes souffrant de maladies chroniques (diabète, maladies pulmonaires, hypertension, maladies psychiques, insuffisances rénales…) ou oncologiques paient un lourd tribut, car elles deviennent les oubliées de l’événement, la communication des responsables politiques ou sanitaires relayée par les médias portant l’attention quasi exclusivement sur l’événement-catastrophe.

Malgré l’urgence sanitaire provoquée par cette épidémie et les moyens considérables mis en œuvre (avec raison) pour la combattre et la juguler, ces personnes continuent de souffrir et de mourir avec plus de difficultés existentielles. Les messages des autorités et le quasi-confinement subi font grimper leur angoisse. Le suivi de leur maladie, la remise aux calendes grecques de leur intervention chirurgicale provoquent un sentiment de peur et la pensée qu’elles n’ont pas accès aux soins de qualité nécessités par leur pathologie. Avec le report de certains examens diagnostics, il se pourrait que nous vivions un effet-rebond dans quelques mois. Pour ces personnes atteintes de maladies chroniques s’ajoute l’angoisse de mourir dans la solitude puisque les familles ne sont pas autorisées à rendre visite à leurs proches tant à domicile, en EMS que dans les services de réanimation.

Outre les soins de confort et la pharmacologie en soins palliatifs que nous connaissons bien, il y a toute une partie de cette philosophie des soins qui est abandonnée du fait des mesures de restriction de présence humaine, notamment la prise en charge de la détresse des proches (conjoint, enfant, fratrie, parents). Comment pouvons-nous aider ces personnes dans l’impossibilité d’assister une-e patient-e en phase terminale dans un EMS ou dans un service de réanimation? Ces proches vivent l’événement tragique à distance, ce qui augmente leur anxiété et leur détresse psychologique. D’autre part, comment les aider dans la phase de deuil si, en plus de n’avoir pas pu dire adieu à la personne aimée, ils et elles sont privés des rituels tels que les funérailles ou les réunions? Les contacts physiques sont très importants dans ces moments de partage et le réconfort fait partie des soins palliatifs. C’est comme si on volait une seconde fois la mort de leur proche.

Les rituels comme les funérailles constituent un élément important dans le travail de deuil, ils concrétisent l’évènement. Nous devons nous poser la question: comment inventer de nouveaux soins palliatifs compatibles avec la situation provoquée par la pandémie, notamment comment prendre soin des proches pendant et après la maladie? Doit-on recommander de reporter ces fameux rituels de quelques mois? De faire des réunions Skype entre les proches juste après le décès?

Je terminerai cette réflexion en abordant la question sensible du niveau de soins. Selon mon expérience en soins palliatifs pédiatriques, ces questions doivent être discutées quand la mer est calme et non pendant la tempête, lors de l’arrivée en service d’urgence ou de réanimation. Cette discussion, qui touche l’éthique et la médecine, devrait faciliter la prise en charge pour les médecins comme pour les patients, lorsque ces derniers aborderont la phase critique de leur maladie. Je n’ai jamais aimé l’intitulé «niveau de soins» puisque nous pratiquons le maximum de soins pour le confort du patient en soins palliatifs; je préfère «niveau de traitement médical». A tête reposée, cette réflexion (transfert en réanimation, réanimation cardiovasculaire ou intubation) devrait idéalement avoir lieu avec le médecin traitant. Là se pose le problème de l’âge: est-ce que la vieillesse ou le handicap sont des maladies potentiellement mortelles? Ce document éviterait aux médecins d’avoir à prendre des décisions moralement difficiles et éthiquement discutables, basées sur l’âge du patient ou le type de pathologie, dans des moments où les ressources techniques ou en personnel deviennent limitées.

Et je ne peux clore ces quelques réflexions sur les effets collatéraux de l’actuelle pandémie sans penser aux populations, vulnérables par essence, de l’Afrique, qui vont payer un double tribut à cette catastrophe. D’une part par manque de structures sanitaires, de moyens et de personnel de santé et à cause de nombreuses comorbidités dont la pauvreté endémique (même si la pauvreté n’est pas en soi une maladie) et, d’autre part, par l’abandon d’une part de l’aide humanitaire internationale, les moyens financiers étant utilisés en priorité pour la crise dans les pays occidentaux.

Notre invité est professeur agrégé, Faculté de médecine, Université de Montréal; Fondateur et référent en soins palliatifs pédiatriques de Médecins du Monde Suisse.

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