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Les sans-papiers à l’heure du Covid-19

Dans les rangs des personnes œuvrant dans l’économie domestique, nombreuses sont celles sans statut légal, qui se retrouvent «à la merci de leur employeur». Dans le contexte de l’actuelle crise sanitaire, Victor S. Rodriguez en appelle à la responsabilité sociale des employeurs.
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Elle est là, assise sur la chaise, mais vous ne la voyez pas parce qu’elle est invisible. «Elle», c’est Carmen1>Nom d’emprunt., travailleuse domestique bolivienne en Suisse depuis bientôt quinze ans. Carmen nettoie nos appartements, s’occupe de nos enfants et prend soin de nos aînés. Mais elle n’existe pas. Elle doit traverser la vie en rasant les murs. Son origine lui interdit d’être ici légalement.

En temps de crise, les plus affectés sont souvent les plus précaires. Parmi les groupes particulièrement vulnérables, il y a les «sans-papiers», nombreuses et nombreux en Suisse, mais dont on a pourtant très peu parlé depuis l’arrivée du Covid-19 sous nos latitudes. Pour la plupart d’entre elles et eux, sans protection sociale, ne pas travailler signifie ne pas percevoir de revenu ou de compensation. Le confinement doit quant à lui se faire dans des espaces réduits et surpeuplés, ceux que les personnes sans statut légal habitent en temps «normaux».

Avec cette foutue épidémie, Carmen a de moins en moins de travail. Ses employeurs ne l’appellent plus. Tout le monde reste chez soi! Et c’est très bien ainsi. Mais alors qu’ils pourront se cloîtrer confortablement à la maison en attendant que la tempête passe, elle, elle n’aura bientôt nulle part où aller.

Le rapport de force entre un patron et un salarié est à l’avantage du premier en dépit des droits (chèrement acquis) dont bénéficie le second. Lorsque le salarié est une personne sans statut légal, cette asymétrie s’aggrave. En d’autres termes, les «sans-papiers» se trouvent à la merci de leur employeur. Du salaire que celui-ci voudra bien verser dépend leur survie dans un pays où tout est dispendieux comme la Suisse. Ils ont des droits, mais ne les connaissent pas ou ont peur de les faire valoir. La menace permanente du renvoi et la perspective de ne plus avoir de travail pèsent lourd dans la balance. Dire non n’est le plus souvent guère une option. La porte est alors ouverte à tous les abus.

Carmen a peur. Comme tout le monde, elle craint d’attraper cet objet encore mal identifié. Elle a peur pour sa santé, mais aussi celle de ses enfants restés en Bolivie. Elle n’a pas pu leur caresser le visage depuis son départ il y a près de quinze ans, mais elle se débrouille tant bien que mal pour mener une vie de famille «normale», à distance. Carmen a peur de ne plus être en mesure de leur envoyer l’argent dont ils ont besoin.

Si vous louez régulièrement les services d’une personne comme Carmen, vous êtes un employeur et vous avez par conséquent une responsabilité sociale. Il faut la payer. Même si vous ne souhaitez plus qu’elle vienne accomplir sa besogne chez vous pour le moment. Même si elle est malade. Surtout si elle est malade. Il faut la payer.

Les temps sont durs. Le sentiment de ne pas avoir prise sur notre environnement représente un grand facteur d’angoisse. L’incapacité à pouvoir dire demain nous tue. Mais rappelons-nous que notre incertitude actuelle est leur quotidien.

Notes[+]

Notre invité est chercheur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), président de l’association Jet d’encre.

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