Un pilote dans l’avion?
Les adeptes des réseaux sociaux ont sans doute vu passer ce dessin de passagers d’un avion, écoutant leur commandant leur expliquer que, pour cause de coronavirus, il les pilote depuis chez lui, en télétravail. Ce sentiment d’un pilotage à distance n’est pas loin de nous avoir saisis, lundi, lorsqu’un fonctionnaire fédéral est venu devant la presse tancer les cantons de Genève et du Tessin d’avoir osé arrêter quelques chantiers, quelques usines dans l’espoir de protéger leur population.
La visite mardi du conseiller fédéral Alain Berset aux HUG n’y changera rien. Le pilote fédéral refuse obstinément de prendre ses responsabilités. Le savant équilibre entre la volonté d’endiguer l’épidémie et le maintien en activité d’une société complexe, entre la nécessité de prendre des mesures sanitaires durables, tenables, et celle de la fermeté, afin de ne pas prolonger la crise avec de nouvelles infections, exige de faire des choix.
Quels services demeureront indispensables, et à quel rythme, ces prochains deux ou trois mois? Quelles productions maintenir pour ne pas tout gripper? Quelles activités sont d’évidence trop contagieuses pour être maintenues? Quelles autres, au contraire, faut-il favoriser pour répondre aux défis du moment?
Les réponses ne viendront pas de Berne. Les dirigeants d’entreprises, les carnets de commande, les contrats passés et, parfois, la résistance des travailleurs, là où elle existe, chez les moins précaires, en décideront. Au cas par cas, dans le désordre, le pire scénario en situation de crise.
Un sondage publié mardi indiquait qu’un Suisse sur deux continue de se rendre sur son lieu de travail. Entre deux messages qui l’enjoignent à rester calfeutré chez lui. L’explosion du commerce en ligne, en réponse au confinement et aux fermetures dans le non-alimentaire, illustre cette schizophrénie bien helvétique.
Bien sûr, ces «non-décisions» sont aussi le fruit d’un rapport de classe. Le patronat a obtenu de ses plus fidèles représentants politiques (UDC, notamment) que son capital puisse continuer de se reproduire, coûte que coûte. Mais plus que des intérêts, cette politique exprime une projection au monde désincarnée. Où le marché a pris le dessus sur le projet commun. Le laissez-faire sur l’agir ensemble. Le chacun pour soi sur le collectif.
Dans ce même sondage, on apprend qu’une majorité de Suisses se dit confiante dans la gestion de l’épidémie par le Conseil fédéral. Réaction classique face à une crise, qui profite toujours à l’autorité. Un temps. Gageons qu’à ce bref état de grâce succédera une remise en question de ce modèle néolibéral, aussi inopérant que dénué d’humanité.