Une si courtoise dictature
Le guide copte Sameh me dit que lorsqu’il voit la police, il se sent en sécurité. Au Caire, dans le quartier d’Agouza au bord du Nil, où je suis logée chez un ami, face au poste de police, il semble toujours se passer quelque chose. Un grand camion bleu foncé avec de très petites fenêtres est garé devant le poste. Un quartier sûr. De nombreux hommes en veste de cuir, au regard vif, sont manifestement en train d’observer tout ce qui bouge avec une attention sans faille. Par moments, surtout la nuit, la rue est bondée de femmes, jeunes et vieilles, debout, le regard fixé sur le portail du poste de police, dans l’attente d’une libération espérée de leur fils ou petit-fils. L’immeuble de mon hôte est gardé par trois bawabayin, des portiers à qui rien ni personne n’échappe. Ainsi ai-je appris qu’un ami de l’entourage de mon hôte, interpellé à mon égard, a dû inventer que je suis la sœur de celui-ci – une histoire plausible qui me vaut respect et protection.
Une visite au pittoresque souk Khan Al-Khalili, au Caire, constitue un incontournable pour tout touriste. Ahmed, le chauffeur de taxi, me convainc que je ne peux m’y aventurer seule. J’accepte donc d’être chaperonnée. Mon projet de faire quelques emplettes doit être prévu à l’avance car je ne dois ni ouvrir la bouche, ni rien révéler de ma personne, ni laisser entendre que je m’intéresse à quoi que ce soit dans ces étals multicolores et alléchants. Je parviens quand même, avec une certaine satisfaction, à marchander à bon prix après qu’Ahmed a déclaré avec conviction que je suis l’épouse de son oncle qui vit en Europe.
Près de Bab Zuweila, l’une des trois portes donnant sur la vieille ville, je suis attirée par des parfums orientaux qui m’emplissent les narines. Je découvre le grand comptoir d’épices et de racines d’Abdul Rahman, qui existe depuis 1920. Je photographie tant l’intérieur que l’extérieur avant de poursuivre ma flânerie. C’est alors qu’un policier, ou militaire (je ne réussis pas à les distinguer), m’aborde, avec le sourire, me prenant légèrement par le bras. Naïve, je crois qu’il veut me guider pour traverser la rue qui peut s’avérer carrément dangereuse, étant donné que les voitures roulent à une vitesse hyperbolique. Je suis donc emmenée en face et dirigée vers un personnage de haute stature, debout parmi d’autres hommes en uniforme qui me regardent avec intérêt et bienveillance. Le grand annonce: «I am a General!». Sûre qu’il s’agit d’une blague, je lui fais un salut militaire, qu’il accepte avec un sourire. Quand je lui fais remarquer qu’il n’a pas d’uniforme, il ouvre sa veste pour découvrir des épaulettes et 5 grosses étoiles dorées. La conversation qui s’ensuit, plutôt sympathique bien qu’échangée laborieusement du fait de son anglais rudimentaire, vise à vérifier si j’ai fait des photos de sujets militaires ou tangibles.
Sur les 300 kilomètres de route qui séparent Assouan d’Abu Simbel, nous nous arrêtons à de nombreux barrages militaires. La chose paraît routinière. Le chauffeur est tenu de déclarer qui il transporte et d’ouvrir le coffre. A force de l’avoir entendu maintes fois, j’ai appris à dire en arabe que je suis suissesse. Mais là, apparemment, il y a un changement qui m’échappe. Selon le guide et chauffeur, je suis néo-zélandaise. Voulant corriger le tir, j’en suis vite dissuadée par mes coéquipiers, qui insistent sur le fait que cela n’a aucune importance. Je n’en comprends pas le pourquoi, pas plus que je ne comprends les divers stratagèmes portant sur mon identité.
Verena Graf est activiste pour le droit des peuples, Genève.