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Elections: on a la champiniaque

L'Impoligraphe

Vous avez sans doute vu nos affiches avec nos têtes, reçu dans vos boîtes aux lettres nos tracts, prospectus, dépliants électoraux, vu passer des bus et des trams à nos couleurs avec nos slogans. Vous l’aurez compris: y’a, incessamment sous peu, des zélections, auxquelles, pour peu que vous disposiez des droits politiques, vous êtes convié-e-s à participer par vos votes forcément sélectifs, informés et rationnels. De vrais votes de vrais citoyens et de vraies citoyennes, quoi. Mais remettons la campagne électorale dans son cadre obligé: il n’est en effet de discours, de textes, d’entretiens électoraux admissibles qui ne doivent contenir un certain nombre de quotas rhétoriques, de mots obligés, d’expressions obligatoires, de références incontournables. Et ces quotas sont de deux ordres: il y a d’abord ceux que toute candidate et tout candidat, tout parti et toute liste, doit respecter, qu’il ou elle soit de gauche, de droite, du centre, d’ailleurs ou de nulle part. Il y a ensuite les quotas rhétoriques spécifiques à un camp – de gauche, de droite, d’ailleurs ou de nulle part.

Ainsi, toutes et tous doivent impérativement énoncer que «nous sommes à un tournant» (la ligne droite, forcément, ça a une fin) et qu’il y a des enjeux (ou des défis, si on veut faire sportif) à relever. Faut croire qu’ils étaient tombés. Il faut ensuite proclamer qu’«il faut aller de l’avant», sans forcément avoir à préciser où il faut aller pourvu que ce soit «de l’avant». Vers quoi, on s’en fout, mais faut dire qu’on y va. Sans marche arrière. Il faut aussi proclamer qu’«il faut changer de paradigme» – peu importe le paradigme qu’on doit changer; les paradigmes, c’est comme les slips ou les chaussettes, il faut en changer régulièrement. Il faut en outre invoquer la «classe moyenne», mais sans la définir puisqu’on dès qu’on se risque à la définir, on s’aperçoit que ce n’est pas une classe. Il faut évidemment exprimer son amour des arbres et des animaux – mais on peut choisir lesquels, genre «si chuis élu, je ferai don de 10% de mon salaire aux vieux chevaux»… qui dit mieux? «Moi, m’sieur: si chuis élu, je supprimerai la taxe sur les chiens»… et les dugongs, alors, personne n’y pense?

Ce n’est pas tout: il faut encore proclamer son exigence de «transparence» et d’«exemplarité». Sans évidemment trop s’y livrer soi-même. Enfin, quoi que l’on propose, à quelque domaine d’action politique qu’on se réfère, il faudra que cela soit «durable» et «citoyen». On pourrait aller jusqu’à «républicain», mais ça fait un peu trop français.

Plus sélectivement, pour peu qu’on soit de gauche et qu’on tienne à le faire savoir, on doit impérativement défendre un projet «inclusif», «multiculturel», prôner l’«ouverture» et le «vivre ensemble» et, évidemment, se soucier de l’état du climat. A droite, il faudra vénérer la liberté du commerce, rendre culte à la «liberté de choix du mode de transport» (réduite à celle de choisir la bagnole quel que soit le parcours qu’on ait à faire), défendre la propriété privée, invoquer (si on est PDC) la famille, et promettre de baisser les impôts (qui écrasent la classe moyenne).

Pour terminer votre tambouille électorale, qui que vous soyez et quelles que soient vos convictions politiques (parce qu’on suppose que vous en avez), vous ajouterez une pincée de «racines», une invocation de l’«avenir», vous parlerez de culture si vous êtes de gauche, de sport si vous êtes de droite, de culture et de sport si vous avez le cul entre deux sièges, de logement dans tous les cas – mais de logement social si vous êtes de gauche et d’accession à la propriété si vous êtes de droite. Voilà, vous êtes paré-e: à respecter ces quotas, vous tiendrez un discours électoral légitime. Et peu importe qu’il soit à la fois vide et ronflant, champignanesque, quoi. Ce discours ne veut rien dire? Tant pis, ou tant mieux: il n’intéressera sans doute pas grand monde, mais au moins ne fâchera personne non plus. Et si on le dit avec au moins un accent de sincérité, tant mieux, quoiqu’on ne nous demande même pas d’y croire – seulement de faire croire qu’on y croit. Nuance, nuance…

Donc, citoyennes, citoyens, camarades, chères électrices, chers électeurs,
L’avenir est devant nous, alors allons de l’avant, car nous sommes à un tournant du destin de notre ville, et nous avons à relever pour la classe moyenne des enjeux qui nous imposent de changer de paradigme pour le sport, la culture et le logement social. Alors, dans la transparence et l’exemplarité, assurons un vivre ensemble multiculturel, ouvert, climatiquement durable et socialement inclusif, fidèles en cela à nos racines et à celles de nos arbres.
Bon, ben voilà, j’ai tout mis, je vois pas ce que je peux dire de plus. Parler politique, peut-être? Et puis quoi ­encore?

Pascal Holenweg, conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève; candidat au Conseil municipal.

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lundi 8 janvier 2018

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