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La démocratie à la merci de robots?

Un hacker allemand «éleveur de robots» figure parmi les orateurs des Swiss Cyber Security Days, qui s’ouvrent mercredi à Fribourg.
La démocratie à la merci de robots?
Les ­campagnes électorales sont-elles déjà à la merci de l’influence des réseaux sociaux? KEYSTONE
Cybersécurité

Les participants aux Swiss Cyber Security Days risquent d’être surpris, demain sur le coup de 11 h: c’est un homme cagoulé qui prendra la parole devant un parterre de spécialistes et de représentants des autorités. Ce hacker est connu sous le pseudo de «Wizard of Botz», un jeu de mots contraction du «Magicien d’Oz» et de «bots», pour robots.

Rien ne destinait pourtant cet Allemand à devenir «éleveur de robots» sur le réseau social Instagram. Utilisateur lambda de la plateforme, il a été étonné lorsqu’il a reçu à de nombreuses reprises des liens vers des contenus pornographiques via la messagerie de l’application. Qui pouvait bien être à l’origine de la démarche? Pas spécialiste d’informatique pour un sou, l’homme a entrepris sa propre enquête. «J’ai un travail normal la journée et la nuit je me consacre à Instagram. C’est devenu mon principal hobby», confie l’Allemand au téléphone avant de voyager vers Fribourg, où il s’exprimera demain.

Créer ses propres robots

L’homme à la cagoule a rapidement décidé que pour saisir les rouages de cette économie souterraine, il lui fallait créer ses propres robots. Avec quelle finalité? «J’ai découvert qu’il y avait plusieurs méthodes d’action. La première est le spam: vous envoyez des liens qui mènent par exemple vers des sites pornographiques, et vous êtes rémunéré par ces sites si les internautes y consomment», explique le hacker.

Mais il n’y a pas que l’appât du gain: les robots peuvent aussi être de bons soldats politiques. «C’est la deuxième technique, celle du trolling. J’ai pu l’expérimenter lors des campagnes du parti Alternative für Deutschland», raconte l’Allemand. Celui-ci a déchaîné ses robots pour commenter en masse les publications du parti nationaliste sur Instagram. «Même s’ils finissent par toutes les supprimer, cela demande beaucoup de travail et donc mobilise des ressources qui ne peuvent pas être mises ailleurs», explique-t-il.

« Si les gens sont manipulables, nous avons un problème »

« Wizard of Botz »

C’est en partie en raison de ses activités contre l’AfD que le hacker a décidé de ne pas dévoiler son visage. Mais aussi parce qu’il flirte avec la légalité. En cause: les garde-fous du réseau social pour lutter contre les robots. «Les comptes sans numéro de téléphone vérifié ne survivent pas au-delà de quelques jours. Il faut donc obtenir des cartes SIM, qui ne sont délivrées en Allemagne que sur présentation d’une pièce d’identité et à raison de cinq au maximum par personne.» L’homme ne dira pas comment il a pu obtenir des cartes SIM par centaines. Tout juste relève-t-il que construire des robots de qualité est un «immense travail»: chaque compte a une personnalité qui lui est propre, doit développer des interactions et publier du contenu crédible.

Selon le hacker, ses robots peuvent même contribuer à modifier un agenda politique ou les objectifs commerciaux d’une entreprise. «C’est la troisième méthode: les attaques par publicité. Si mes robots vont mettre des milliers de likes sur une publication, un parti politique peut penser qu’il s’agit d’un élément important et va contribuer à le mettre en avant», explique l’Allemand. Et d’imaginer un autre exemple, commercial cette fois, où une entreprise peut recourir à des robots pour influencer la popularité en ligne des produits de son concurrent.

«La Suisse? Pas à l’abri»

L’Allemand assure qu’il ne gagne pas d’argent avec ses activités. «Je ne me prends pas non plus pour James Bond. J’ai simplement envie de mettre en lumière ces problématiques pour que les gens soient moins naïfs.» En découvrant l’immensité de cet univers, l’homme à la cagoule a été pris de vertiges. «Si je peux avoi une telle influence avec si peu de moyens depuis ma cave, quelles sont les limites?», interroge-t-il, inquiet pour nos démocraties.

Quand bien même il a déjà pu échanger avec des politiciens, le hacker n’attend rien d’une éventuelle réglementation étatique. «Le problème n’est pas les robots en soi, mais leurs effets. Si les gens sont manipulables en fonction de ce qu’ils consultent sur Instagram, alors nous avons un problème de formation de l’opinion.

Tout en avouant être «admiratif» de la démocratie suisse, l’Allemand ne considère pas notre pays à l’abri. «Le meilleur système ne peut rien pour vous si les citoyens ne réagissent qu’en fonction de leurs émotions. Or, l’architecture même des réseaux sociaux vise précisément à les exacerber.» LA LIBERTÉ

International Adrien Schnarrenberger Cybersécurité

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