«On voyait flotter fièrement nos bannières»
Silence. Un silence agréé pour ne pas déranger la faune en traversant cette réserve naturelle au-dessus de Klosters (GR). Un silence remarquable car observé par des centaines de participant-e-s à la Marche d’hiver à Davos pour la justice climatique et contre le WEF (World Economic Forum). Un silence auto-imposé par consensus, relayé par un geste de main spécifique repris sur toute la longueur d’un cortège qui descend en serpentant sur 200 m de ce sentier raide et enneigé. Bref, un silence qui incarne l’éthique et les valeurs qui sous-tendent cette manifestation, diamétralement opposées à celles du WEF.
Je plane toujours parmi mes souvenirs mêlés de personnes venues de divers pays, de vues époustouflantes, de villages grisons, de discussions, rires, sourires, émotions et énergie. Du milieu du cortège, en regardant en arrière ou en avant, on voyait flotter fièrement nos bannières et panneaux faits maison comme autant de drapeaux de croisade, témoins d’une foi en un nouveau monde: «We are unstoppable, another world is possible!» [Rien ne nous arrêtera, un autre monde est possible!] Une expérience inoubliable, pour laquelle je remercie infiniment les organisateur-trice-s.
Comment accueillir, encadrer et motiver des centaines de personnes sur trois jours et 40 km? Et ce, d’une manière consensuelle, non coercitive et joyeuse? La logistique défie la raison et, en effet, les jeunes organisateur-trice-s ont passé neuf mois à planifier un événement qui a attiré en fin de compte 1000 personnes – y compris beaucoup de jeunes familles – le premier jour, et 600 les jours suivants.
L’équipe Strike-WEF (strike-wef.org) avait sillonné le territoire à l’avance pour établir la route (Landquart-Schiers-Klosters-Davos) et trouver des résident-e-s prêt-e-s à mettre à disposition des chambres, des lits, un restaurant pour une pause thé/WC, voire une salle communale ou de sports comme dortoir. Elle a aussi négocié avec les autorités et la police pour avoir les permis requis. Et elle nous aide en cours de route à former de petits groupes afin de faciliter la prise de décisions tactiques et forger la solidarité entre marcheurs.
Il y a de la nourriture pour tou-te-s, matin, midi et soir, en plaine comme en haute montagne, fournie par une «cuisine collective» mobile, spécialiste de tels événements, et que chacun-e paie selon ses moyens. De la bonne bouffe délicieuse et copieuse; végane d’ailleurs – la transition alimentaire est déjà en route et n’implique pas un avenir moins savoureux.
La marche est animée par une équipe internationale de clowns et une autre de tambours. Même si l’encadrement policier est bienveillant, les clowns s’amusent à se moquer sans malice des agents qui se tiennent, un brin trop sérieux, au bord de la route dans les villages, ou à poser en tableaux comiques pour des photos. Des énergies exhilarantes qui nous remontent le moral dans les moments de fatigue.
Des juristes et des «gardiens de la paix» bénévoles marchent avec nous en cas de difficultés avec la police, en plus d’une équipe sanitaire. A l’entrée de Klosters, un hôtelier enragé sort pour nous crier: «Vous êtes une honte pour la Suisse!» Il semble prêt à s’en prendre aux marcheurs mais ses équipes calment la situation.
Pour communiquer, d’abord ce geste de la main levée repris par chacun-e jusqu’à ce que règne le silence, puis une personne crie dans un mégaphone. Le message est alors transmis par les autres en chœur le long du défilé, en allemand et en anglais. Il y a toujours des informations claires dès qu’il s’agit de choix à faire ou de questions d’organisation, hébergement ou autre.
Un triomphe. Partout les gens nous accueillent ou nous saluent avec bienveillance; dans un village nous sommes honorés par un solo de cor des Alpes. Nous arrivons à Davos avec le sentiment d’avoir vraiment témoigné. L’exhilaration et la joie règnent en rejoignant la place centrale. Un grand merci, bien mérité, est exprimé aux organisateur-trice-s, et nous nous dirigeons vers les énormes casseroles fumantes pour un dernier repas commun et animé.
Notre invité vient de Versoix (GE).